mardi 1 décembre 2020

Aphone

Tel que vous me voyez, je suis un chant sans voix.
La main tendue ne touche rien.
Les paupières closes me murmurent des possibles mais je ne sais d'où vient le son.

Est-ce l'air qui manque ?

Je dessine une asphyxie à laquelle m'accrocher car elle donne un sens au vide.
Je suis piètre dessinateur.
Je vais plutôt faire un feu d'un fagot de mots, mais la pluie du doute gâche la fête promise.

Pourquoi cet hiver prend-il les traits de l'automne ?
Averses et brouillard.
Lumière grise.
Et le regret de l'été.

On dit que demain, il va neiger.
J'y vois un geste de bonne volonté.
Étendre ce manteau-là est charité.
Ce qui couvre n'est pas forcément lourd.
La lumière couvre.
Et j'ai besoin de lumière pour retrouver la voix du chant.

samedi 21 novembre 2020

Une histoire et dodo

Et si, chaque fois que je me couchais, je vous racontais une histoire qui n’a pas eu lieu ?

Est-ce qu’on en ferait une habitude de brioche, chaude du four et de la nuit, pour la main gourmande qui sait le lendemain ?

On dirait que ce serait vrai. Même pour le rouge-gorge. Et le coup du sécateur.

On dirait qu’on y croirait, au moins. Ne pas décevoir l’illusion, elle peine tant à sourire.

On dirait que ce n’est pas grave si d’autres pensent le contraire, puisque nous, nous pensons à l’endroit.

On dirait qu’à la prochaine lune, on ferait un tas de toutes ces histoires, et on les flamberait avec nos larmes. Et ça ferait rire les gens.


Formons un demi-cercle et une pensée affable.

Je prends mon élan et je plonge la main dans l’infini des histoires.

Ah ! non, j’en prends une autre : celle-là, elle a eu lieu.







                                    Auderghem, décembre 2020

samedi 7 novembre 2020

D'après Rimbaud...

Départ
C'est l'heure
Pétard
Au cœur

Peinard
Moqueur
Richard
Les fleurs

Tu pleures ?
Rempart
Nuit noire

Demeure
Plus tard
Au bar
_____________________________________

Assez de nuit pour tremper le cri dans l'humeur indocile
Assez de sanglots farouches sur les démarches étonnées
Assez de poings hauts vers la cause évidente
Départ urgent. Et déjà, la fureur intacte au creux de nos calices écarlates.
_____________________________________

D pipés
E ta sœur
P... de m...
A bâbord toute
R pur
T de Ceylan

Je ne vois pas le rapport. Soit.
L'acrostiche a débordé sur la table et s'écoule, sublime langueur, sous le regard enamouré de l'éponge. On voit poindre une idée liquide mais elle est rangée aussi sec. Le fleuve indolent maîtrise son sujet et bientôt, percute le plancher d'une pluie câline. Aussitôt, une ode, un quatrain et un haïku s'envolent au secours des gouttes atterries. L'ode s'empare du D, du P et du A. Le quatrain se charge du E et du R. Le haïku, minimaliste, se contente du T. En formation serrée, les trois aéronefs du langage survolent une paire d'étonnements, un canyon incrédule et une kyrielle de pourquoi, avant de se poser près d'un renard philosophe. On discute. Rendra-t-on à ce départ sa forme initiale ? Les esprits s'échauffent. Il faut dire que les dés sont pipés. Malgré l'air pur et le thé de Ceylan, la bonne humeur file à bâbord toute. Et ta sœur et p... de m... viennent alors mettre un terme à ce qui fut le plus beau faux départ de la littérature. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est le haïku.

28 septembre 2020

Si j'étais perdu en forêt, j'aurais peur de croire
aux ombres lumineuses
aux éclats de silence
aux sentiers indomptés
aux craintes féroces
aux pas immobiles

Si j'étais perdu en forêt, j'aurais peur de ne plus croire
aux enfants de la boue
aux murmures des plumes
aux visages d'écorce
aux lèvres du vent
aux regards des sources

Si j'étais perdu en forêt, j'aurais peur
de parler aux chimères
de sourire aux loups
de capturer la nuit
de manquer à ma parole
d'invoquer une absence
et de me rendre coupable d'y prendre goût
____________________________________________

L'idée de vous perdre en forêt vous a-t-elle déjà effleuré ?
Si vous dites oui, personne ne vous croira. Si vous dites non, vous avez ouvert le bon livre. Mais d'abord, pourquoi se perdre en forêt ? Pour plusieurs raisons. Citons, entre autres, pour échapper à un contrôle fiscal. Ou à l'obligation de se brosser les dents. Ou encore pour cacher cette vilaine coiffure.
Maintenant que vous avez le motif, passons à l'acte. Comment se perdre en forêt ? Là aussi, les solutions sont légion. La plus sûre méthode pour y parvenir est d'entamer une balade vers 18 heures en hiver, sans carte, sans lampe, et de préférence dans la forêt de Brocéliande plutôt que la forêt de Soignes. Certains vont jusqu'à se bander les yeux. C'est envisageable. Mais si cela contribue à garantir le succès de l'opération, on se prive cependant du plaisir de se voir s'égarer. Voilà qui est dommage. Ce serait porter atteinte aux frissons de l'angoisse croissante, de la fatigue s'accumulant dans les mollets, des douleurs généreusement offertes par les ampoules qui crèvent entre les orteils meurtris, des frayeurs causées par d'innocentes essences arboricoles qui craquent à notre passage, des couinements répétitifs de l'estomac où gronde une famine dévorante, du glaçage en règle opéré par la pluie abondante (à ce propos, délaissez le parapluie, s'il vous plaît), de la pénibilité, enfin, de maintenir un état d'éveil alors que le corps, prisonnier de son train-train, réclame un endormissement prompt. Tous ces plaisirs, s'ils sont justement vécus, devraient, en principe, vous mener à l'instant paroxystique, l'orgasme oserions-nous dire, auquel on peut comparer ce moment où vous avez juste envie de mourir. Ce n'est qu'à ce moment-là que votre égarement méritera le qualificatif de réussi. Et lors, vous pourrez vous abandonner au désir morbide avec le sentiment chatoyant d'avoir accompli un geste fort pour le bien-être de l'humanité.
_____________________________________________

Et si je n'étais pas dans la forêt
Mais que j'étais la forêt ?
Ce serait arrivé par hasard
Au détour d'un oubli
Je n'aurais pas d'excuse et m'en réjouirais
Car
Je serais vallon
Je serais fougère
Je serais humus
Je pourrais tendre les bras
Et dessinerais les branches où dansent les pendus
Je retournerais la terre de mes ondulations de sève
Je dirais à l'oiseau, à l'horloge, à la vague, à l'étoile, au poète
De prendre appui sur mes ombres
Creusées en nuées ondulantes

Je serais le centre de mon propre monde
Souverain de mes sens
Gardien des pas lourds

Et j'interdirais à quiconque
De proférer la menace
Que je crains au zénith :
L'idée d'être arraché à moi
Pour redevenir celui que j'étais
Avant d'être la forêt


mardi 8 septembre 2020

Échange

J'ai ouvert le carnet

Pour y poser je ne sais quoi

Un souvenir vert

Mes yeux fatigués

Une idée préconçue

Ou la vérité du silence

J'ai reçu en écho

Un battement de vie

Un regard plus droit

Trois instants furtifs


J'y ai gagné !


jeudi 27 août 2020

Un monde

Comment m'entendras-tu si je ne te parle pas ?

Comment m'accueilleras-tu si je ne viens pas à toi ?

Tu ne peux être écho si le cri fait défaut.

J'attends de toi que tu me hèles.
Mais as-tu seulement besoin de mon nom ?

Tu n'entends que le silence de mes lèvres
Mots aphones
Mais as-tu seulement besoin de ma voix ?

Donne-moi un regard avide.
Montre-moi la fissure dont je ferai
Un chemin.

Et que celui-ci te révèle plus lumineux
À mes yeux d'ombre.

mardi 11 août 2020

Bredouille

Fouiller les poches
- le frac de la vie
en est largement pourvu -
Et se voir bredouille
Comme on contemple
Le train raté

Confier son espérance
À la porte du buffet
Qui cache tous les frissons
Sauf le miel qu'on désire

Descendre quatre à quatre
Les marches aux souvenirs usés
Et dialoguer avec les échos
De la cave muette
Insensé
Tu le sais que la poussière
Se joue de toi

Regarder par la fenêtre
L'ombre d'une indécision
L'ombre d'une hésitation
L'ombre d'un doute
Et planter là le présent
Pour voir germer hier
Encore une fois

Rien à faire
Tous ces grigris que l'on agite
C'est du toc dont la vie
S'encombre
On a les mains vides
Car s'écoule entre les doigts
Ce temps
Que l'on croit avoir perdu

jeudi 23 juillet 2020

Nuit d'été

La chaleur n’a pas grelotté son dernier mot

Le dormeur n’a que faire de ce linceul

La nuit sera pourpre


Tant de pas qui n’auront pas été faits

L’huis les a envoûtés

Pour qu’ils cessent leurs songes d’horizons


Là demeurent ceux qu’un mur obtempère

Prêts à payer au jour le tribut de ses rayons


Déjà le cristal des enfants

Tinte au fond des lits

Où se jouent par avance

Les vécus qu’ils ne connaîtront peut-être pas


Tandis que rongent les hâtes obstinées

Jusqu’à la moelle du silence


Alors, la dernière main

Fera se taire le dernier rideau

Et la chaleur guettera

Le premier signe

Du premier éveillé

À l’orée de cette

Nuit d’été





Auderghem, juillet 2020

jeudi 16 juillet 2020

Possible

Ce soir, j’ai fait de la place en moi
J’ai poussé les meubles
J’ai roulé le tapis
Écorché
Mes pieds nus ont embrassé le bois, la poussière
Et la danse que je m’étais promise

Ce soir, j’ai fait le tour du monde
Le tour d’un monde
Je l’ai peuplé de rêveries et de chimères apprivoisées
Un arpenteur l’a chiffré
Il est plus vaste que tous mes soupirs
C’est dire

Ce soir, j’ai fait la paix avec moi-même
Trêve de calumet
Pas de mauvaise pensée
Pas de mauvaise langue
Pas de mauvais esprit
Juste un temps pris et l’étonnement d’être là

Ce soir, je respire des airs d’ailleurs
J’entends des musiques encore à composer
Et des mots jamais prononcés
Je vois des dessins qu’un crayon n’a pas tracés

Ce soir, tout est possible




                            Toscane, juillet 2020

mercredi 15 juillet 2020

Dires d'obscur

Qu’auront à me dire les ombres ce soir ?

Quels secrets ?

Quels murmures ?

Aurais-je l’oreille assez prudente pour ne pas croire aux alouettes de la nuit ?


Que lirais-je entre les lignes des étoiles ?

Je n’ai pas l’habitude de m’y hasarder.

Mes bésicles sont maladroites et balbutient parfois des inepties.


Au fond, si je laissais simplement l’obscur m’inonder de sa clarté ?

Les réponses s’agitent en d’autres instants, impatientes mais retenues.


Nuit, je suis prêt à te recevoir.

J’oublie les blés des jours et les collines du soleil.

Je m’en remets à ton jugement.






                        Toscane, juillet 2020

mardi 14 juillet 2020

Déjà

Déjà la nuit a étendu
Ses incertitudes
Les masques du sommeil entament le carnaval
Des songes

Déjà la fraîche corrompt
Les peaux
Et le coton des manches se souvient d’une autre
Lumière

Déjà se pressent
Hors des bois, des lumières, des moissonneuses et des enclos,
Les saveurs imméritées
Des impossibles légendes

Déjà demain
Attend l’écho de son cri



                 Toscane, juillet 2020

jeudi 9 juillet 2020

Nuit canine

La nuit aboie

Elle déchire les rêves

De ses canines

Et renvoie le dormeur

À d’autres inquiétudes


La nuit aboie

Parce qu’un sanglier

Parce qu’un renard

Parce qu’un rôdeur, peut-être

Seule l’ombre le sait


La nuit aboie

Son écho d’encre

Au creux des vallées

Elle écrit l’histoire

Qui fera le rêve du chien


La nuit aboie

De tous ses yeux ouverts

Elle sillonne à grandes foulées

Son territoire à défendre

Face aux menaces celées


La nuit aboie

Et c’est le monde entier

Qui gronde dans les gorges des gardiens

Plus peureux encore

Que ceux qu’ils protègent


La nuit aboie

Elle enrage de n’avoir pu les éveiller tous

Malgré la ferveur de ses cris

La nuit jure

Qu’elle fera mieux la prochaine fois





                 Toscane, juillet 2020

mercredi 8 juillet 2020

Au-delà

Ce ne sont pas des champs de blé où la moissonneuse a tracé ses sillons.

Ce sont des échantillons de velours étendus par un tailleur omniscient.


Ce ne sont pas des collines, ça et là parsemées de bois.

Ce sont des vagues ocres sur lesquelles mousse une écume rebelle.


Ce n’est pas un ciel bleu limpide.

C’est une toile de lumière où les oiseaux deviennent ombres chinoises.


Ce ne sont pas des lignes électriques qui viennent allumer les masures.

Ce sont des bras tendus qui dressent une barrière au néant.


Et au-delà du velours, des vagues, de la toile et des bras,

Les vagabonds stellaires attendent la nuit

Pour leurs agapes tonitruantes.






Toscane, juillet 2020


mardi 7 juillet 2020

Autour du silence

Il y a d’abord, et surtout,

Le silence


Bien sûr, ce sont aussi les grillons

Ou les cigales

Je n’ai jamais su faire la différence


Bien sûr, ce sont aussi

Les infinies vibrations

Des insectes secrets

Existence furtives


Bien sûr, ce sont aussi

Deux tourterelles

Qui se parlent du haut de deux cyprès

Elles s’invectivent, peut-être


Bien sûr, ce sont aussi les chiens

Qui grognent leurs jeux

Ou aboient une tortue téméraire


Bien sûr, ce sont aussi des voix

Qui deviennent parfois rires

Au cœur des braises solaires


Mais il y a d’abord, et surtout,

Le silence



         Toscane, juillet 2020


samedi 6 juin 2020

Le détaché

Plus de mots au bout des yeux

Plus de bruits au creux des doigts

Le silence saisissant

À peine l'épaisseur d'un galet.

Une suffocation ?

Pourtant le caddie est plein

La semence crépite.

Y a-t-il accord tacite

Entre le détaché et l'attente ?

L'heure s'impatiente.

Alors, il puise dans l'eau possible

Cette poignée d'encre

Et trace d'un trait

Certes ébloui de stupeur

L'espoir d'un poème

vendredi 8 mai 2020

Pas à pas

J'ai commencé par suivre ton pas
De loin
Avec la discrétion d'une gêne

Puis, s'enhardir

S'enhardire
Les premiers mots
L'apprivoisement

Étonné
Je l'étais
Je n'étais
Qu'à quelques pas
De ton pas
Proche
Et sans reproche

D'ailleurs
C'est d'ailleurs
Qu'est venue la première note
Et ton pas
Et mon pas
Se sont mis au pas
L'un de l'autre

On ne peut pas
N'est-ce pas ?
Mais si on peut
On n'arrête pas le pas
D'un pas
On le suit
Jusqu'à la porte

Il y a alors
Le pas de la porte
Et le pas ce soir
Mais pourquoi pas ?

Et là mon pas
Et là ton pas
N'ont pas
Dit non !

jeudi 30 avril 2020

Tempus Fugit

I

Reviens demain, moment propice
Aujourd'hui, je t'ai raté
D'une distraction, j'ai fait une excuse
D'un bâillement, un sacerdoce
Les doigts du temps ont claqué
Et l'instant s'est effrayé
Je n'ai pas pu le rassurer
Malgré l'ouate de mon geste
D'apaisement
J'avais pourtant un regard surpris
Et la tiédeur du silence
Dans ma besace
Je n'ai pas été assez prompt
À les émietter
Pour cet oiseau de bref passage
Il n'a pu voir sourire
Mes minutes dociles
Dans son envol de pluie furtive
J'en étais encore à l'aube
D'une éternité de rencontres
Qu'il jetait le crépuscule
Son mon huis étonné
Demain
Demain sera propice
J'aurai la main sur l'immédiat
Prêt à scruter le fond de mes pensées
Demain sera propice
Je le dis au regard
Au silence
Au début
À la fin
Je place un siège près de la fenêtre
Et je m'apprête à une veille
Curieuse


II

Je me souviens de demain matin
J'y pense souvent
Entre deux maintenant
Je m'arrête une éternité
Cet instant vif qui m'échappe
Et je me demande si en tendant la main
Je pourrai toucher mes pensées
Lointaines


III

Attendais-je demain ?
Il est déjà là.
La poignée d'étoiles
Que hier a jetées
Sur la voûte
Ont fécondé
Une nuit sans sommeil
Les semences du rêve
N'ont pas pris
Vais-je maintenant
Arpenter ce jour
Qui n'est pas décidé ?
Mon pas n'a pas encore
Pétri sa première foulée
Dans la glaise des heures
Mes mots attendent
Que le premier sorte
Ignorant que ce silence
Est peut-être plus éloquent
Qu'ils ne seront jamais
Je fais le pari
De l'attente
Je remue le temps
Et puise dans la lumière
Électrique
Ces instants
Dont je ferai
Demain
La promesse
D'une paix attendue

IV

Fouiller les poches
- le frac de la vie
en est largement pourvu -
Et se voir bredouille
Comme on contemple
Le train raté

Confier son espérance
À la porte du buffet
Qui cache tous les frissons
Sauf le miel qu'on désire

Descendre quatre à quatre
Les marches aux souvenirs usés
Et dialoguer avec les échos
De la cave muette
Insensé
Tu le sais que la poussière
Se joue de toi

Regarder par la fenêtre
L'ombre d'une indécision
L'ombre d'une hésitation
L'ombre d'un doute
Et planter là le présent
Pour voir germer hier
Encore une fois

Rien à faire
Tous ces grigris que l'on agite
C'est du toc dont la vie
S'encombre
On a les mains vides
Car s'écoule entre les doigts
Ce temps
Que l'on croit avoir perdu



samedi 25 avril 2020

Et la nuit, dehors ?

J'ai voulu sortir de mon lit
Humer le bois de mes pieds froids
Et compter à rebours
Le temps qu'il me reste

J'ai voulu descendre les escaliers
Grincer la rampe infidèle
Ôter à l'étonnement
Son écho de couloir vide

J'ai voulu ouvrir la porte
Cercler de mousseline
La nuit impertinente
Et accompagner mes pas
De bruyantes invectives

J'ai voulu traverser le monde
Serrer les mains des clochers
Qui trop se penchent
Sur nos âmes maladroites
Quand elles ont besoin de rêves

J'ai voulu sauter si haut
À me cogner aux astres
Pour voir si la lune
Ne nous cache pas une verrue

Je suis resté dans mon lit

lundi 13 avril 2020

12 avril 2020

Il y a des mots faciles et des mots difficiles
Il y a des mots qui riment et des mots qui ne riment à rien
Il y a des mots aimés et des mots détestés
Il y a des mots aériens et des mots telluriques
Il y a des mots tôt et des mots tard
Il y a des mots qu'on cherche et des mots qu'on trouve
Il y a des mots évidents et des mots improbables
Il y a des mots qu'on dit et des mots qu'on tait
Il y a des mots singuliers et des mots pluriels
Il y a des mots rencontrés et des mots croisés

Qu'est-ce qu'on entend dans le mot écriture ?
L'écriture, c'est une promesse de rature, un cœur en pâture, une imposture, l'annonce d'une biture... Mouais, pas terribles les rimes en voiture ou toiture.
Alors, à part ça, qu'est-ce qu'on entend dans l'écriture ? Eh ! bien, un cri. Oui, l'écriture est un cri, bien sûr. Un cri, des cris, les cris. Les cris durs.
Et contrairement aux paroles, éphémères, l'écrit dure.
Donc, les cris durs de l'écrit durent.
Voilà, on tient un bout d'écriture, là !

Quand l'ombre est arrivée, je l'ai remerciée. J'aime le soleil, certes, mais depuis l'ombre. J'ai besoin de son abri. Je le fais confortable. J'y étend un tapis. Tapi dans l'ombre. Et là, sans l'ombre d'une hésitation, je lui demande, à l'ombre, de me raconter ses histoires mystérieuses.

Excuse-moi, dit la flamme. Je te prends à froid et tu n'es peut-être pas très chaud pour ça, mais j'ai une question qui me brûle les lèvres. Et je n'ose pas la poser.
Comment ? "Il faut que tu te lances, flamme."
Oui, tu as raison. Alors, feu à volonté. Après tout, je ne vais pas me faire descendre, hein. Descendre. Des cendres. Ha ! Ha ! Non, ce n'est pas drôle.
Pardon ? "Ce que j'ai fumé ?"
Mais rien du tout. Pourquoi ?
"Parce que ce que je dis est fumeux."
Oui, c'est vrai. Bon, j'y vais, il faut aller au charbon. Mais tu vas me prendre pour une allumée. Donc, la question : est-ce que tu braises ?


6 avril 2020

Je sens l'écriture comme un hasard
Je sens l'écriture comme une joie
Je sens l'écriture comme une rencontre
Je sens l'écriture comme une difficulté
Je sens l'écriture comme un chemin

Je sens l'écriture comme un hasard auquel j'ai du mal à me remettre.
Je sens l'écriture comme une joie qui ne cesse de me surprendre.
Je sens l'écriture comme un avalement lent, parfois inexorable. Parfois, seulement.
Je sens l'écriture comme une évidence. En tout cas, chez les autres.
Je sens l'écriture comme une géographie, avec ses territoires à explorer. Ou pas.
Je sens l'écriture comme parler à tout le monde à la fois.
Je sens l'écriture comme une libération. Mais de quoi ? Mystère !
Je sens l'écriture comme un tombeau. Ou ce que j'emporterais au tombeau.
Je sens l'écriture comme un sanglot que j'ai du mal à laisser sortir.
Je sens l'écriture comme une larme que d'autres versent à ma place.
Je sens l'écriture comme une jarre d'eau : c'est un peu lourd, mais c'est bon.
Je sens l'écriture comme un cheval : superbe mais un tantinet impressionnante.

Je ne peux pas écrire. Pas toujours.
Je suis parfois sans. Sans le besoin.
Je sais pourquoi. C'est le bruit.
Pas celui des tondeuses ou des livreurs de pizzas. Ces bruits-là ont droit de cité.
C'est un autre silence que je cherche.
Il se tapit derrière mes bruits.
Ces voix qui couvrent tout et me laissent sec.
Ces murmures qui grimacent, sournois.
Ils font taire le silence.
Mais parfois, j'ai des oreilles de vide où se dissolvent les bruits, où les grimaces n'ont plus de griffes.
Alors, quand je rencontre cet infini, je le laisse me parler de tout ce qu'il y a dans le silence, et j'y dégaine la force de tarir les bruits.
Et dans l'écho qui reste de leur agonie, je reçois enfin ce silence sans lequel je ne peux écrire.

jeudi 9 avril 2020

Un phare

Quel est ton voyage, maintenant ?
Celui que tu entreprends sans nous.
Quelle rive pourpre
Fouleras-tu d'un pied allègre ?

Dis-nous les breuvages surpris
Qui s'écoulent à la fraîche.
Sers-nous les fruits écrits
Dans les éclats d'un zénith.
Prends nos mains
Et libère-les de leurs opacités.

Nous avons accompagné tes pas
Jusqu'au seuil de brume
Et nous avons cru, pardonne-nous,
Que tu renoncerais.

Mais déjà tu goûtais
Les breuvages et les fruits
Et tu avais oublié nos mains
Dans la promesse du voyage.

Nous t'avons dit
Nos mots de peu
Pour que ton bagage soit léger
Sûrs de te savoir en joie
D'être ce feu qui nous guidera demain.


(écrit dans l'esprit de l'initiative Fleurs de Funérailles, de Carl Norac, notre Poète National de 2020 à 2022)

mardi 7 avril 2020

Traces

C'est déjà le silence
Des profondeurs nocturnes
Étendu
Sur nos consciences effarées

C'est déjà le bruit ténu
Des astres
Qui lancent en défi à demain
L'impossibilité de paraître

C'est déjà le songe
Liquoreux
Qui nous fera héros
Amants ou murmures
Dans l'enchantement choisi

C'est déjà le corps
Qui soumet le drap
À sa chaleur de fer
Dans l'hébétude  des frissons

Mais c'est encore hier
Qu'on emporte
Sans relâche
Parce que seule empreinte de nos vies

vendredi 27 mars 2020

Au dépourvu

L'idée est de se laisser surprendre
C'est un jeu
Où ce n'est pas forcément
Le chat
Qui attrape
La souris

Jeux de dupes
Aux règles zinguées
Comme une caisse à outils
Cabossée

Il m'a eu
J'ai fait sauter le bras du tourne-disque
Maladresse espiègle

Je vois son sourire
Sur les sabots de ce cheval

À présent
Mon tour est passé
C'est à lui de jouer
Alexandrin ou quatrain ?
Le poème fait sa diva
Et je braque sur lui
Le double canon de chevrotine
On ne passe pas !

Bien sûr, on passe
Tout cela n'est que jeu
D'ailleurs, la partie est finie
Mon stylo rentre au bercail
Une feuille se sèche
Au soleil de la nuit
Et la lampe m'attend
Pour éteindre les premiers rêves.

lundi 23 mars 2020

D'un geste de toi

Quand sait-on que
L'inestimable
Est atteint ?

Est-ce une goutte muette
Qui nous le dira ?

Le saura-t-on de la bouche
Du soleil opaque ?

Cela nous sera-t-il inspiré
Par un battement de vie
Plus léger qu'un claquement
       flamenco

L'entendrons-nous
Dans la ruelle sapide
Qui clôt tout dialogue ?

Non

L'inestimable est ce trésor
Polyglotte
Qui use tous les langages
Pour marquer au mot rouge
L'évidence de notre parfaite
Et délicieuse dépendance

Cette marque que je porte
Fut laissée par ta main
Ce jour de renaissance
Où tu effleuras
En moi
L'idée d'un infini

dimanche 22 mars 2020

Juste avant le crépuscule

J'ai été témoin de l'endormissement de la forêt
Le bruissement plus feutré des branches
Les pas du dernier passant qui s'éloigne
Le coucher des ombres

Le craquement de l'escalier nocturne
Quand monte en son alcôve
Le jour qui achève son chemin

Et la dernière histoire contée au terrier

J'ai été témoin de l'endormissement de la forêt
Et j'emporterai en songe
Cette paix
Comme un reflet
De minutes indispensables

jeudi 19 mars 2020

Mémoire

Soudain
Ce sont des feuilles qui craquent
Et des envols de songes

Soudain
C'est une rencontre aveugle
Parce qu'un sourire n'ose pas

Soudain
C'est un soleil parmi mille
Qui se reflète un peu plus pur

Soudain
C'est l'idée d'une caresse
Sur le tranchant d'une hésitation

Soudain
C'est retrouver la trace
D'une évidence qu'on croyait perdue
Et qui n'était que mutisme
Dans un orchestre de jours sans lendemain

Soudain
C'est ce demain de parole
Où les feuilles
Les rencontres
Les soleils
Les idées
Et les caresses
Laissent cette trace
Que l'on nomme mémoire

samedi 14 mars 2020

Demain ?

Je t'ai vu
Tu es celui qui erre
Cap en goguette
Peu de lieues au compteur
Mais des rames en veux-tu, en voilà.

Je t'ai vue
Tu es celle qui doute
Regard au bord du cœur
Entre fascination et tourment
Formidable équilibre

Je nous ai vus
Êtres de peu de chose
Dans l'âtre grondant des possibles
Fictions de trépas
Car déjà happés par la joie

Et ces mains qui s'espèrent !

Urgence

Besoin de respirer le souffle de tes yeux
De sentir dans ma chair
Tes rires de nuage

Besoin de toucher même tes invraisemblances
De serrer dans mes bras
Tes éternelles rêveries

Besoin de savoir dans chacun de mes pores
Que demain sera lumière de caresse
Sur une paix de velours

mercredi 26 février 2020

Visiteur

Je reçois ta visite
Qui m'éclaire d'une vive noirceur
Visiteur
Et les vents se sont tus

Je te laisse entrer
Poser ton baiser crevassé
Sur mon front docile
Visiteur
Et ce froid qui gémit

Je t'écoute t'asseoir
Dans la conque de mon espoir
Que tu voulais briser
Visiteur
Et le sang de la nuit coagule

Je te sais impatient
De marteler tes soupirs
Au firmament de tout mon être
Visiteur
Et le sombre dessein luit

Mais tu ignores
Mes lances jetées
Mes bras acérés de larmes
Mes obstinations de source
Mes franchissements infaillibles
Mes peurs mutilées
Visiteur
Et le jour déjà t'emporte

Entends-tu les pépiements solaires
Qui se moquent de tes manigances ?
Et tu n'es plus qu'un mauvais songe
Sur le bruit de mes pas

Ingrédients

La truffe d'un cabot
Le cabas de la vieille
Le vieux vélo décoloré
Le couloir sans porte, sauf une, au fond
Le fondu enchaîné du documentaire
La Terre vue de la station spatiale
L'espace insécable entre le mot et le point-virgule
L'exclamation du mioche qui reçoit sa glace
La glaciation qui a laissé ses mammouths congelés
Le gel dentaire, plus classe que le dentifrice
Le sourire de la boulangère, pour changer
Le nouveau gouvernement (non, pas crédible)
Le croyant qui cesse de croire
Le sceptique qui crie au miracle
Le saint tout écaillé dans l'église
Et, enfin, la crotte du chat

Est-ce qu'on n'en ferait pas une vie de plus à vivre ?

Découverte

Être seul dans une foule de soi-même et perdre sa trace dans l'affolement
Poser délicatement les jalons d'un devenir inutile, puis les lancer au diable en riant sous la cape des étoiles
Prendre d'une main convaincue le tison crépitant, y mordre un plein souffle et recracher les esquilles de la peur
Sentir en soi la sève gourmande de l'avenir qu'on se promet et tendre la main au vaillant maréchal qui remportera toutes les batailles

Dire que tout cela était écrit sur ma table et que je n'avais qu'à soulever une feuille pour le voir paraître !

L'infinie facétie de l'existence...

17 février 2020

Notice d'utilisation d'un bain de forêt

Qu'est-ce qu'un bain de forêt ?
Il échappe à toute définition. Faites-en ce que vous voulez. Comment voulez-vous définir ce qui pourrait être un bavardage d'étoiles autant qu'une excuse d'absence ? Faites-en ce que vous voulez, il sera assez tôt l'heure de rendre des comptes.

Dans quel cas est-il utilisé ?
Chaque cas est unique, comme chaque arbre. On n'échappe pas à la multiplicité rayonnante des possibles. Vous avez deux heures.

Composition du bain de forêt
Il serait fastidieux d'énumérer ici les traces infinies qui mènent à l'essence du bain de forêt. Qu'on se contente d'entrevoir une fin qui jamais ne surgira. Soyons, pour une fois, avares de curiosité.

Quelles sont les informations à connaître avant de prendre un bain de forêt ?
Tout au plus peut-on suggérer de s'enquérir de l'envergure des anges, du poids de la honte et des tonalités des songes. Toute autre inquiétude tiendrait du persiflage.
Cela dit...
On déconseille le bain de forêt en cas de gueule de bois.
L'avertissement sur l'usage de l'avertisseur est à prendre au second degré et avec les précautions zélées du parfait iconoclaste.
Enfants et adolescents sont admis sur présentation de leur certificat de complète hébétude.
Le bain de forêt exclut tous les autres médicaments au nom de l'équité poétique.
Ne sont pas contre-indiquées grossesse, fécondité et allaitement, contrairement à la mauvaise foi et aux signes extérieurs de désorientation.

Comment prendre un bain de forêt ?
Avec des pincettes.

Si vous avez pris trop de bains de forêt, vous êtes un menteur ou une menteuse. On ne prend jamais trop de bains de forêt. On profane des tombes, oui. On proclame des défaites, oui. On programme des fêtes, oui. Mais point trop s'en faut. Alors que pour le bain de forêt, ma foi...

Fréquence d'administration
Ne pas dépasser un bain tous les instants fragiles. Préférer une immersion coupable à un hésitant va-et-vient. Ce n'est pas la fréquence qui compte, mais l'extase. Alors, plonger les deux mains et broyer les doutes. Hors cela, point de salut. On notera l'emphase qui a surgi.

Quels sont les effets indésirables éventuels ?
Chez certains, le bain de forêt peut provoquer des sourires lactés, démangeaisons des pulsions, surtout en quinconce. Parfois apparaissent des simplicités ou des évidences : elles sont passagères et néanmoins prospères. À ne pas confondre avec les nodosités d'une fulgurante amnésie, de type Robespierre, signalées dans certaines yourtes polygames. Rien à voir avec les fenêtre hurluberlues qui traînent leurs onctuosités sans ambages. Mais rien n'est irréversible.

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Témoignages

Il y a toi, forêt.

Et puis, il y a celui aux chaussures obtues qui parle du bruit de ses pas dans les feuilles onctueuses du souvenir.

Et puis, il y a celle aux yeux pourtant mâtins dont l'écho de la voix murmure encore les mots des blessures à l'ombre des feuillages.

Et puis, il y a cet enfant incrédule qui seul n'a pas vu l'âme de l'arbre s'envoler de pudeur et regarde le sourire en coin de son père.

Et puis, il y a la mémoire partagée sous les voûtes de ces deux dos, unis depuis l'aube première par les mains ridées de l'amour.

Et puis, il y a tant de questions laissées à l'abandon par ceux qui cherchent les réponses dans l'absence d'eux-mêmes.

Et puis, il y a ces âmes envolées, sentinelles sereines qui veillent aux extrémités cardinales des branches infinies.


20 janvier 2020

Notre sylve magnificence déclare être propriété privée d'une multitude d'hectares de pleine ouverture et donc dépourvus de clôtures au sein de laquelle est offert habitat sous surveillance à tous animaux y compris sangliers et autres habitants de terriers selon des quotas négociés avec le garde-forestier qui se charge également de la confection de stères en vue de chauffer la prison dans laquelle sont enfermés les contrevenants au présent décret.

Signé : la Forêt des Carnutes

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Il me semble que sous les ombrages d'une forêt, je suis oublié, libre et paisible comme si j'échangeais mon manteau d'une étoffe protectrice mais étouffante pour l'élégance d'une illusion de sérénité. Ainsi dévêtu, je puise en d'infinies répétitions au souffle de la liberté, confiant dans le secours des lucioles, des feux follets, des elfes, pour tisser le velours calme de mes ombrages intérieurs.