mercredi 26 février 2020

Visiteur

Je reçois ta visite
Qui m'éclaire d'une vive noirceur
Visiteur
Et les vents se sont tus

Je te laisse entrer
Poser ton baiser crevassé
Sur mon front docile
Visiteur
Et ce froid qui gémit

Je t'écoute t'asseoir
Dans la conque de mon espoir
Que tu voulais briser
Visiteur
Et le sang de la nuit coagule

Je te sais impatient
De marteler tes soupirs
Au firmament de tout mon être
Visiteur
Et le sombre dessein luit

Mais tu ignores
Mes lances jetées
Mes bras acérés de larmes
Mes obstinations de source
Mes franchissements infaillibles
Mes peurs mutilées
Visiteur
Et le jour déjà t'emporte

Entends-tu les pépiements solaires
Qui se moquent de tes manigances ?
Et tu n'es plus qu'un mauvais songe
Sur le bruit de mes pas

Ingrédients

La truffe d'un cabot
Le cabas de la vieille
Le vieux vélo décoloré
Le couloir sans porte, sauf une, au fond
Le fondu enchaîné du documentaire
La Terre vue de la station spatiale
L'espace insécable entre le mot et le point-virgule
L'exclamation du mioche qui reçoit sa glace
La glaciation qui a laissé ses mammouths congelés
Le gel dentaire, plus classe que le dentifrice
Le sourire de la boulangère, pour changer
Le nouveau gouvernement (non, pas crédible)
Le croyant qui cesse de croire
Le sceptique qui crie au miracle
Le saint tout écaillé dans l'église
Et, enfin, la crotte du chat

Est-ce qu'on n'en ferait pas une vie de plus à vivre ?

Découverte

Être seul dans une foule de soi-même et perdre sa trace dans l'affolement
Poser délicatement les jalons d'un devenir inutile, puis les lancer au diable en riant sous la cape des étoiles
Prendre d'une main convaincue le tison crépitant, y mordre un plein souffle et recracher les esquilles de la peur
Sentir en soi la sève gourmande de l'avenir qu'on se promet et tendre la main au vaillant maréchal qui remportera toutes les batailles

Dire que tout cela était écrit sur ma table et que je n'avais qu'à soulever une feuille pour le voir paraître !

L'infinie facétie de l'existence...

17 février 2020

Notice d'utilisation d'un bain de forêt

Qu'est-ce qu'un bain de forêt ?
Il échappe à toute définition. Faites-en ce que vous voulez. Comment voulez-vous définir ce qui pourrait être un bavardage d'étoiles autant qu'une excuse d'absence ? Faites-en ce que vous voulez, il sera assez tôt l'heure de rendre des comptes.

Dans quel cas est-il utilisé ?
Chaque cas est unique, comme chaque arbre. On n'échappe pas à la multiplicité rayonnante des possibles. Vous avez deux heures.

Composition du bain de forêt
Il serait fastidieux d'énumérer ici les traces infinies qui mènent à l'essence du bain de forêt. Qu'on se contente d'entrevoir une fin qui jamais ne surgira. Soyons, pour une fois, avares de curiosité.

Quelles sont les informations à connaître avant de prendre un bain de forêt ?
Tout au plus peut-on suggérer de s'enquérir de l'envergure des anges, du poids de la honte et des tonalités des songes. Toute autre inquiétude tiendrait du persiflage.
Cela dit...
On déconseille le bain de forêt en cas de gueule de bois.
L'avertissement sur l'usage de l'avertisseur est à prendre au second degré et avec les précautions zélées du parfait iconoclaste.
Enfants et adolescents sont admis sur présentation de leur certificat de complète hébétude.
Le bain de forêt exclut tous les autres médicaments au nom de l'équité poétique.
Ne sont pas contre-indiquées grossesse, fécondité et allaitement, contrairement à la mauvaise foi et aux signes extérieurs de désorientation.

Comment prendre un bain de forêt ?
Avec des pincettes.

Si vous avez pris trop de bains de forêt, vous êtes un menteur ou une menteuse. On ne prend jamais trop de bains de forêt. On profane des tombes, oui. On proclame des défaites, oui. On programme des fêtes, oui. Mais point trop s'en faut. Alors que pour le bain de forêt, ma foi...

Fréquence d'administration
Ne pas dépasser un bain tous les instants fragiles. Préférer une immersion coupable à un hésitant va-et-vient. Ce n'est pas la fréquence qui compte, mais l'extase. Alors, plonger les deux mains et broyer les doutes. Hors cela, point de salut. On notera l'emphase qui a surgi.

Quels sont les effets indésirables éventuels ?
Chez certains, le bain de forêt peut provoquer des sourires lactés, démangeaisons des pulsions, surtout en quinconce. Parfois apparaissent des simplicités ou des évidences : elles sont passagères et néanmoins prospères. À ne pas confondre avec les nodosités d'une fulgurante amnésie, de type Robespierre, signalées dans certaines yourtes polygames. Rien à voir avec les fenêtre hurluberlues qui traînent leurs onctuosités sans ambages. Mais rien n'est irréversible.

______________________________________________

Témoignages

Il y a toi, forêt.

Et puis, il y a celui aux chaussures obtues qui parle du bruit de ses pas dans les feuilles onctueuses du souvenir.

Et puis, il y a celle aux yeux pourtant mâtins dont l'écho de la voix murmure encore les mots des blessures à l'ombre des feuillages.

Et puis, il y a cet enfant incrédule qui seul n'a pas vu l'âme de l'arbre s'envoler de pudeur et regarde le sourire en coin de son père.

Et puis, il y a la mémoire partagée sous les voûtes de ces deux dos, unis depuis l'aube première par les mains ridées de l'amour.

Et puis, il y a tant de questions laissées à l'abandon par ceux qui cherchent les réponses dans l'absence d'eux-mêmes.

Et puis, il y a ces âmes envolées, sentinelles sereines qui veillent aux extrémités cardinales des branches infinies.


20 janvier 2020

Notre sylve magnificence déclare être propriété privée d'une multitude d'hectares de pleine ouverture et donc dépourvus de clôtures au sein de laquelle est offert habitat sous surveillance à tous animaux y compris sangliers et autres habitants de terriers selon des quotas négociés avec le garde-forestier qui se charge également de la confection de stères en vue de chauffer la prison dans laquelle sont enfermés les contrevenants au présent décret.

Signé : la Forêt des Carnutes

______________________________________________


Il me semble que sous les ombrages d'une forêt, je suis oublié, libre et paisible comme si j'échangeais mon manteau d'une étoffe protectrice mais étouffante pour l'élégance d'une illusion de sérénité. Ainsi dévêtu, je puise en d'infinies répétitions au souffle de la liberté, confiant dans le secours des lucioles, des feux follets, des elfes, pour tisser le velours calme de mes ombrages intérieurs.


mardi 4 février 2020

Le chant de l'étonnement

Être là
Sur un chemin définitif
L'espace d'un oubli
Vitreux
À l'ombre nacrée
Que déversent
Les regards vierges
De toute indifférence

Tendre
L'espoir d'une rencontre
Pas tout à fait
Indolente

Préciser
Le sens des méprises
Folies de la raison

Désirer
Le prochain salut
Non, le retenir
Encore

Ignorer
Les délicats éclats
Du verre des paroles
Enfouies dans cette surprise

Inviter
L'inconnu
À venir
Avenir
C'est le grès des bras
Qui lui a collé ce bâillon
Labeur insensible
Aux chaleurs animales

Ombre
Présence

Tu as serti
Mes yeux
Mon cœur
De foudres béantes
J'y voyage
En apprenti des songes
Alors, pourquoi hésiter ?
Je déploie
L'écorce au suc capiteux
Qui me fera recueillir
Ces instants étonnés

Je me vois

Sur ce chemin définitif
Et encore
M'émerveille
De cette évidente
Intrusion