samedi 15 juillet 2017

La création

Tu as le pinceau, j’ai l’œuvre.

Ce n’est pas qu’elle soit grandiose, elle est, c’est tout.

Laisse-moi la contempler.

Il y coule la vie.

On devine le tracé du Styx en un firmament lacté.

Tu vois, il suffit de ne pas le suivre pour qu’il te mène à l’autre bout de toi, où tu n’es encore que le berceau innocent de tes inconsciences.

Tends la main, saisis cette poignée de poussière d’or qu’un saltimbanque a laissé couler de sa poche.

Étale ce nectar sur tes yeux et aime-toi !



Toscane, 2017


jeudi 13 juillet 2017

Ricotta

Le vent lourd porte à nos oreilles endormies le bêlement des moutons.
Troupeau de cloches aux mamelles repues, ils vagabondent leurs pensées sur d’autres sentes que les nôtres.
Un chien les accompagne, compère obstiné qui chaloupe ses ahanements.
Le soleil oblique maintenant ses rayons sur les coteaux toscans où s’égrènent les rouleaux de blé, marchandises promises à nos industrieuses faims.
Quand les doigts du fermier tissent les seaux de lait tiède, on sent monter dans l’air les souvenirs de terrasses ambrées et gourmandes.
Bientôt, la ricotta viendra clore ce débat entre l’homme et son lendemain.

            

                                                                                                            Toscane, 2017

mercredi 12 juillet 2017

Rose

Un cœur s’est niché dans les anfractuosités du songe.

Il perturbe l’insatiable gourmandise de l’éphémère.

Je le touche.

Il darde sur moi un regard de pourpre à la désolation presque fraternelle.

Il n’y a pas si longtemps, j’aurais crié.

Mais là, je cueille une étoile et la caresse de mes mots fragiles.

Ce n’est qu’un instant, fugace rébellion.

Ce n’est qu’un flirt avec le temps.

Je la cueille enfin, cette rose sans épines.



                                                                                                                    Toscane, 2017


lundi 10 juillet 2017

La vieille Volvo brune



Ce matin, tu n’démarres plus.

Ce matin, tu as disparu.

Les ans ont eu raison de toi.

Avec toi part une part de moi.


Je me souviens de nos voyages.

Ces instants partagés, sans âge,

Où nous avons conquis le monde,

Danseurs effrénés dans la ronde.


De toi, j’ai toujours été sûr,

Prêt à enfiler mes chaussures.

Par toi, me laisser emmener

Dans la confiance en mon aîné.


Tu ne manquais pas de vigueur.

Parfois, même, trop de rigueur.

Avec toi, y avait pas de mais

Quand tu me portais au sommet.


J’ai aimé ce temps-là, tu sais.

Une route où tout florissait

À l’ombre de ta silhouette,

Passé miroir aux alouettes.


Mais aujourd’hui, tu es partie,

T’as écrasé le champs d’orties.

Elles m’empêchaient d’avancer.

Libre, je le suis de danser,


D’aimer, tout, et de conquérir,

Sans ton accord venir quérir,

Cet univers de mes envies,

Le joyeux chemin de ma vie.


Merci pour tous ces kilomètres

T’as fait de moi mon propre maître.

Je me sens fort, je suis capable

Et, de l’univers responsable,


Veux arpenter la moindre sente

Qui fasse écho à mon entente.

Je suis l’archange déployé.

Jamais plus les ailes ployées.


Je ne veux pleurer ton départ.

Cette fois-ci, c’est moi qui pars.

Je suis mon rythme et mes pas,

Le monde me tend ses appâts.


                                                                                                                Toscane, 2017


samedi 8 juillet 2017

Mont

Je voudrais te gravir,

Offrir à tes coteaux le fracas de mes pas,

Soulager tes forêts de l’ombre du trépas.

M’oublier à ravir.


Je te vois, solennel,

Un village éperon, coiffure prosaïque,

En ton sommet niché. Dessous, la mosaïque

De tes champs éternels.


Tu dresses devant moi

L’insondable beauté de ce chemin de roc,

Sur ta pente saignée par un immense soc.

Je me sens en émoi.


Aurais-je le courage ?

Oui, de l’autre côté de ta masse charnue

S’étendent, ô voluptés, les béances des nues.

Ferais-je ce voyage ?


J’appréhende la marche

Qu’inexorablement me réclame mon cœur.

J’ai peur de trébucher, j’en hume les rancœurs.

J’ai tant besoin d’une arche,


Mais Noé est parti.

Il a déjà sauvé les être du déluge

Et de toute façon, cette idée de refuge

Pique comme une ortie.


Je suis le pèlerin.

Mes souliers sont lacés et j’ai un bon bâton.

Le temps est révolu d’avancer à tâtons,

Solides sont mes reins.


Oui, mont, je te rejoins,

Je te défie, heureux. Je veux goûter le miel

Au ciboire d’argent prodigué par le ciel

Où l’horizon le joint.


Je grimpe à ton zénith

Vu qu’il n’y a d’autre voie que cette ascension.

C’est un aller ardu, longue progression,

Où l’on n’arrive vite.


Mais je n’ai d’autre nord.

Voilà, j’aime déjà le flot de tes rocailles,

Tes épines acérées, tes flaques en écailles.

Me voici à ton bord.


Prépare-moi, veux-tu,

Un paysage d’or, vaste contemplation

Du chemin parcouru, béatification :

Le bonheur dévêtu.


Alors, j’embrasserai

Le creux de tes vallées, le moelleux de la terre.

Défait de mon fardeau, peine inutile, amère,

Moi-même, je serai.


Toscane, 2017


vendredi 7 juillet 2017

Navigation

Or, le navire avance,

Bateau ivre de ses envies.

Il tangue l’espérance,

Son moteur cahote la vie.


Le port abandonné

Trépigne au fond du souvenir.

On n’oit plus le cheval hennir,

La terre a tout donné.


Maintenant, c’est le large

Qui s’étend au coin d’une feuille

Comme une mûre que l’on cueille,

Un baluchon qu’on charge.


Je suis ce marin-là

Que la tempête n’effraie point.

Je tiens la rame dans mon poing,

Je ne me sens pas las.


Je n’ai pas besoin d’ancre.

Car, si une feuille déserte

Par devers mon cap est offerte,

Là, je jette mon encre.


                                                                                            Toscane, 2017


mercredi 5 juillet 2017

Les heures chaudes



Alors, le temps s’alanguit en fragments

De souffle. Il s’étire nonchalamment,

Sort de sa poche une invitation

À mettre nos vies en suspension.


Phoebus, marchant, en est à son zénith.

Les travailleurs s’abandonnent, ils gîtent.

La cause est entendue, l’œuvre s’arrête,

Autour de la table arrive la fête.


Le paysan remise sa peau tannée

Sous l’ombre tiède des roseaux vannés.

Le boulanger, aussi cuit que ses pains,

Le poète, à l’éternel calepin,


Le gendarme, sérieux sous son képi,

L’herbe, la mousse et même les épis,

Tout se met en congé l’après-midi,

Conscient du complot qui s’ourdit.



“Ô temps, suspends son vol”, a-t-on pu lire -

J’emprunte au poète un peu de sa lyre -.

Immobile, le monde attend la fraîche,

Soucieux d’échapper aux heures rêches.


Paupières closes, les vivants somnolent,

Polissent en songe leurs auréoles.

Les tuiles charnues des toits sacrifiés

Offrent le seul abri à qui se fier.


Et déjà, le prochain circuit solaire

Inquiète la pupille du pauvre hère,

privé de toit et d’ombre dans la plaine

Sur laquelle ses deux sabot peinent.


Pas de paix pour l’infortuné qui rôde

Au cœur incandescent des heures chaudes.

Seule la nuit pourra le soulager

D’avoir, hélas, tout du jour voyagé.



                                                                                                        Toscane, 2017