vendredi 23 décembre 2022

Avancer

C’est comme marcher sur une lande

Avec un tel vent contraire que

L’on n’avance pas


C’est comme la porte ouverte d’une prison

Mais la chaîne est si lourde que

L’on n’avance pas


C’est comme une montagne qui se raidit

Et devient tellement paroi que

L’on n'avance pas


C’est comme le chant d’une sirène

Mais un autre chant sonne si funeste que

L’on n’avance pas


C’est comme si toutes les entraves du monde

S’étaient entendues sur cette immobilité

On a beau gesticuler

L’âme a perdu son élan

Et l’on n'avance pas


Alors un poème





                                                                                        Auderghem, décembre 2022


samedi 17 décembre 2022

Errer

C’est

Un chemin qui ondoie d’ombre en clarté

Une sente laborieuse où grommellent des dos voûtés

Une allée de parfums tenaces que l’on connaît les yeux fermés

Une route jonchée de fleurs qui cachent bien leurs épines

Un sentier bruissant des échos qu’y déposent les graviers bavards

Une piste qui se rit de nos égarements

Une allée qui révèle la silhouette sévère de la vérité


Sur

Ce chemin, nous ne sommes que pèlerins

Cette sente, nous trébuchons

Cette allée, nous sommes seuls

Cette route, nous sommes nombreux

Ce sentier, nous nous prenons à espérer

Cette piste, nous croyons à la beauté

Cette allée, nous nous trompons


Et c’est justement cette errance qui nous mène à bon port.




Auderghem, décembre 2022

mardi 8 novembre 2022

Les gens silence

Les gens silence ont-ils perdu le bruit ?
Ils ne s'entendent pas.
Trop sourds pour voir que personne ne les écoute.

Les gens silence font dans le noir
Des gestes muets
Accrochent des mots de rien au mur du son
Et s'époumonent à grandes brassées de vide

Les gens silence discutent avec les ombres
Dans des conversations aphones
Rient aux éclats de néant

Les gens silence ne disent rien qu'en hurlant

Seuls

Juste un moment dans le grand mouvement de l'immobilité
Comme un archet en l'air
Le suspens des dires
On palpe le velours qui fait la nuit probable
et on se dit qu'ailleurs, le geste s'estompe déjà
On comprend qu'on est le lendemain du souffle
Qu'on avait laissé choir sur les heures finies
Il n'y a que soi et la kyrielle de visages que l'on ne devine pas
Ils nous scrutent comme on pose un manteau
sur des épaules qui tremblent
Sanglot ou froid
On reçoit cette main posée
On baise les doigts qui effleurent
On voudrait leur tendre un sourire
Pourtant, on est seul
Tout n'était qu'illusion
Ou peut-être le souvenir d'un âtre
Par une aube de pluie
Autour, ils sont là
Les rejoindre
Ou, au contraire, ôter la couverture
Poser les pieds sur les minutes froides
Et se préparer à la nuit de veille entre soi et l'âme.
Au fond, a-t-on le choix de la solitude ?


Forêt de pluie

Il y avait ce visage gris qui me scrutait.
Je n'ai pas compris s'il voulait m'avertir ou m'attirer dans ses filets.
J'ai choisi la deuxième offrande.

Et puis, il y avait ce souffle ample qui gonflait mes pas.
Allais-je devenir cargo au long cours ou coque de noix ?
J'ai choisi la deuxième offrande.

Et puis, il y avait ces menaces liquides.
Un ultimatum avant l'apothéose promise.
Serait-ce une ondée de velours ou la cataracte des neuf anneaux ?
J'ai choisi la deuxième offrande.

Enfin, il y avait ce monde dans lequel je voulais entrer.
Cathédrale d'écorce veinée de sentiers infiniment longs, infiniment lointains
Où la boue déjà se taisait de contentement.
Je suis entré.

Le visage a parlé son patois.
Le souffle a déposé sa vigueur.
La menace s'est mise à exécution.

Et sous la voûte émeraude de l'édifice,
J'ai reçu la bénédiction du ciel comme un baiser
Et soutenu la gifle de l'émerveillement.


dimanche 9 octobre 2022

Jasette

On a frappé à ma nuit.
C'était la lune.
Elle avait perdu son chemin par une distraction étourdie.
Rêveuse...
Elle fait des songes océaniques,
Parfois se trompe d'étoile pour tourner à gauche.
Nous avons eu une conversation d'albâtre
Et même un peu refait le monde de la nuit.
Nous avions le temps et quelques mots de trop.
Quand la paupière du jour s'est levée,
La lune a retrouvé la mémoire.
Elle m'a quitté sur une promesse de retour
Et quelques excuses pour les miettes
Qu'elle avait laissé tomber
Du pain de la nuit.
J'en ai eu l'eau à la bouche
Et - pourquoi le taire ? -
Le vague à l'âme.
Une étourderie, à mon tour...

vendredi 30 septembre 2022

Le bois dont on est fait

Une voix module, envoûtante, les inflexions de l'âme.
Des paysages déambulent sur sa rétine, les yeux baissés, songeurs.
Il naît des instants de pinceaux levés, des attentes de lumières.
C'est un peu de la vie qu'on entend en rythmes disparates.
Et c'est beau.
Elle nous parle de ces lointains qu'on touche du désir.
Elle nous rappelle que, nous aussi, nous avons nos pluies drues sur des feuillages harassés.
Elle lance un mot que nous éprouvons à peine, et c'est comme si la clarté d'un livre naissait par erreur.
Combien de ces voyages fait-on dans une vie ?
Sont-ils tous de bateaux rouillés et de pieds nus ?
Là-bas, d'autres écorchés, d'autres bonheurs, d'autres nous-mêmes que nous n'osons pas connaître.
Pour eux, nous sommes du même bois.
Celui dont on se chauffe le creux des mains.
Le bois des rencontres qui construit le foyer et les marches pour y parvenir.
Le bois de l'accueil qui nous fait si souvent défaut.

Nous sommes ce bois.
Nous sommes cette musique.
Nous sommes la vie.
Et nous croyons tellement être autre chose.

lundi 26 septembre 2022

Naissance d'un feu

                                                            à Charlotte


Tu as douté de moi
Tu me l'as dit
Et c'était comme une braise au creux de ma main
Mais je suis parvenu à ne pas la lâcher
Car tu me l'avais confiée
Pour la laisser fleurir
Tu avais deviné le diamant qu'elle renfermait
Mais tu ne pouvais l'en extraire sans mes doigts
Je les joins aux tiens
Et c'est à deux que nous rêverons
Une route nouvelle
Sur laquelle nos pas se feront écho
Et plus tard, nous pourrons
Songer à cette braise
Comme étant le foyer qui a nourri
Nos faims d'amour

Je t'entends

                        à Hippolyte


Est-ce être sourd que de ne point entendre ?
Je n'ai pas senti les frémissements de tes doutes.
Je n'ai pas perçu les pas étouffés de ta souffrance.
Ta bouche a tu ce que ton cœur voulait exprimer.
Et je n'ai pas entendu ce silence.
Maintenant, je sais.
Une main m'a ouvert les yeux.
Et le chemin vers mon cœur t'es ouvert.
Laisse-moi te tendre la main.
Montre-moi ton chemin.
Et voyons si toutes ces ronces,
Nous ne pouvons en venir à bout.
Trébucher, ce n'est rien.
S'obstiner sur les épines et folie.
Puis-je être le baume sur tes plaies ?

mardi 20 septembre 2022

12 septembre 2022

Les gens qui...

Les gens qui font y ont parfois pensé d'abord.
Les gens qui aiment aiment le bruit de la pluie.
Les gens qui se complaisent ne le font pas toujours exprès.
Les gens qui déraillent ne prennent jamais le train.
Les gens qui ne font pas pensent trop.

Les gens qui n'existent pas : développer...

Les gens qui n'existent pas sont annoncés voie 4.
Les gens qui n'existent pas feraient bien de s'y mettre.
Les gens qui n'existent pas ont peut-être raison.
Les gens qui n'existent pas ont l'éternité devant eux.
Qui a vu les gens qui n'existent pas ?
Les gens qui n'existent pas sont ceux qui dérangent le moins.
Les gens qui n'existent pas prennent-ils le métro ?
Les gens qui n'existent pas n'ont-ils pour autant rien à dire ?
Les gens qui n'existent pas ignorent s'ils seront célèbres.
Comment s'appellent les gens qui n'existent pas ?
Les gens qui n'existent pas existeront peut-être un jour.
Les gens qui n'existent pas se sentent-ils différents ?
Peut-on parler des gens qui n'existent pas ?
À chaque coin de rue, il y a des gens qui n'existent pas.

J'aime les gens qui...

J'aime les gens qui aiment les gens.
Ils ont toujours un sourire à germer, même si leur joie est en jachère.
Ils vous tricotent un impossible rêve avec tant l'air d'y croire qu'on demande des aiguilles pour les accompagner.

J'aime les gens qui aiment les gens.
Avec eux, la soupe est toujours bavarde, les oreilles crépitent de bons mots bien fagotés, la lumière oublie de s'éteindre. Ils ont des mains de cocagne et l'on se prend à picorer l'oubli qu'ils égrènent.

J'aime les gens qui aiment les gens.
Ils exagèrent parfois les compliments mais on leur pardonne ces éclats de sollicitude. Ils ignorent si on les aime en retour.

J'aime les gens qui aiment les gens.
Ils font d'incessants allers-retours entre eux et vous, et à chaque fois, vous vous sentez un peu plus indispensable. Eux, en revanche, ne demandent qu'à se délester de vos poids morts.

J'aime les gens qui aiment les gens.
Je les reconnais à mon sourire qui germe au contact de leurs rêves. Je les remercie de leur soupe de mots que je slurpe à l'envi. Je leur retourne les compliments, et je dépose au creux de leur passage le poids de ma peine, née de l'idée qu'ils pourraient ne pas exister.

jeudi 30 juin 2022

26 juin 2022

Les guêpes contenaient l'été tout entier, et il développait avec elles, à cause d'elles, de singulières aptitudes au sprint.


Voilà l'été
Avec les saisissements de ses lumières
Et les jeux d'ombre de ses feuillages.
Voilà l'été
Derrière l'écran noir des lunettes.
Voilà l'été
Qui dépose ses empreintes
Aussitôt évaporées.

Enfin l'été
Soupirent les enfants
Aux dents de pastèques.
Enfin l'été
Rêvent les instits
Sur le lit des dernières copies.
Enfin l'été
Murmurent les cintres
Dans le vent des robes légères.

Toujours l'été
Chantent les grillons
Au cœur des siestes.
Toujours l'été
S'imagine le marchand de glaces.
Toujours l'été
Se réjouit la ville
Qui se sent soudain plus légère.

À moi l'été !
Songe la guêpe
Malicieusement réjouie...


Les rituels liés à l'été

Au fond
L'été en soi est un rituel.
Des quatre saisons
Elle est celle qui languit le plus son retour.

Retour du petit matin
Où voyagent les bagages
Tandis qu'on est déjà là-bas.

Là-bas, où le jour se lève
Après les bruits des hommes.
Du moins le prétendent
Ces volets que l'on a clos.

Clos les yeux
Sur la chaleur du monde
À l'heure où se digèrent
Les tablées abondantes.

Abondante la moisson de fruits
Coupes de couleurs
Dont l'hiver ne voulait pas.

Pas lents dans la montagne
Sous le regard bonhomme
Des sommets inaccessibles, parfois.

Parfois quelques lignes seulement
Dictées par la colline
Et le champ de blé
Au poète qui se croit émerveillé.

Émerveillé le regard
Devant les perles glacées
Qui ornent les vins blancs.

Blancs les nuages
Auxquels on ne peut s'empêcher
De donner forme.

Formes multiples
De tous ces rituels
Qui bâtissent l'été comme
Patiente
La guêpe bâtit son nid.


9 vers de 3 (ou multiple de 3) mots de 3 lettres

Ici git été
Toi, moi, air. Pur, pas rot. Pas pet, non !
Ici git été.
Vin, kir bio... Zou ! Gag, rue, cri, mur. Nul !
Zut ! Mec, loi. Toc toc ? Pan pan cul cul !
Ici git été.
Jeu, jus, jet... Paf ! Nez : aie !
Lac, ode, roc, épi, âne, bzz...
Ici git été.


Étapes pour approcher, pour rencontrer quelqu'un en été

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Que choisir pour vous chausser ?
Peu importe, mais laissez vos pieds respirer
Au lieu de les laisser puer.
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"Mais au fond, qu'est-ce qui peut faire changer le cours des vacances ?"
Faire la bande annonce des vacances de monsieur De Wit, qui tournent mal...

Il achète un billet de train et, légèrement distrait, il se rend à l'aéroport. Évidemment, il rate son train. Et c'est ainsi que commencent les vacances de M. De Wit.

Il s'assied à la mauvaise place et, quand le passager légitime lui réclame son siège, il fait son malin. Sauf que le passager légitime est un tantinet sanguin et bazarde sa valise par la fenêtre. Et c'est ainsi que continuent les vacances de M. De Wit.

Avec plus qu'une seule valise, il arrive à l'hôtel, tard la nuit. Enfin la chambre, enfin le lit ! Mais le pyjama est dans l'autre valise. Et c'est ainsi que s'acharnent les vacances de M. De Wit.

Il s'achète une nouvelle valise, ainsi qu'un nouveau pyjama et tout ce qui lui manquait quand il n'avait plus qu'une seule valise, et c'est alors qu'un agent lui rapporte sa valise qu'on a retrouvée le long de la voie. Et c'est ainsi que ricanent les vacances de M. De Wit.

Il peut enfin prendre un repos mérité, sur la plage, sous un parasol. Mais l'orage éclate et avec l'ui l'idée des doigts de pieds en éventail. Et c'est ainsi que s'effondrent les vacances de M. De Wit.

Il se réfugie dans l'hôtel, décidé à faire des réussites pour passer le temps. Mais une fois qu'il est bien installé, le soleil est revenu. Il retournerait bien sur la plage mais trop tard : elle est bien trop encombrée. Et c'est ainsi que se moquent les vacances de M. De Wit.

Alors qu'il est dans le jardin de l'hôtel, faute de plage, on prend du gazon, une guêpe vient le piquer. Naturellement, il est allergique. Et c'est ainsi que virent au cauchemar les vacances de M. De Wit.

À l'hôpital, il est soigné. Mais depuis son lit, il voit l'hôtel, où sont toutes ses affaires, ses trois valises et ses deux pyjamas, flamber comme une torche. Et c'est ainsi que sont cramées les vacances de M. De Wit.

Une fois guéri, il n'est plus le bienvenu dans l'hôpital. À l'hôtel non plus, forcément. Où va-t-il aller ? Levant les yeux au ciel, comme pour y trouver une réponse, il voit la météorite tomber. Et c'est ainsi que se terminent les vacances de M. De Wit.


Au revoir au lieu de vacances

Psst !
Soleil, pins, plages... à bientôt ?

Hé !
Thé glacé, tissus légers, nu pieds... à bientôt ?

Holà !
Pastèques juteuses, ronds melons, noyaux d'olives... à bientôt ?

Non, non, non !
Pressantes guêpes, à vous, non, pas à bientôt. À jamais, plutôt !

mardi 28 juin 2022

13 juin 2022

Le chemin rêve du bruit des pas sur son dos.
La montre rêve de s'arrêter de temps en temps.
Le siècle rêve de celles et ceux qui l'ont traversé.
L'arbre rêve du vent qui le fera bruire.
Le chat rêve et ça ne vous regarde pas !
La joie rêve de dominer le monde.


Développer un de ces rêves

Tic tac tic tac et tic et tac et que je te retic et que je te retac tic tic tic tic tac tac tac tac gnê gnê gnê ! Et c'est comme ça toute la journée ! Ça n'arrête pas ! Toujours sur la brèche. Je n'ai pas une seconde à moi. C'est bien simple, je ne vois pas le temps passer. Si j'avais une minute, je vous dirais bien mes 24 vérités (oui, je sais, c'est 36, mais que voulez-vous, je suis formatée H24, moi). Mais pour vous les dire, ces 24 vérités, en vérité, il me faudrait l'éternité. Qu'on me permette tout de même de pointer une aiguille sur un facteur clé de mon ras-le-bol : je demande instamment qu'on interdise les montres mécaniques qui se remontent toutes seules quand le porteur agite les bras. C'est mon cas, vous avez deviné. Eh bien ! C'est épuisant. On ne s'arrête jamais. D'autant plus dans mon cas, vu que mon maître est ouvrier dans le bâtiment, spécialiste du marteau-piqueur. Je n'en peux plus ! Même après le boulot, il continue à trembler. Et il ne m'enlève jamais de son poignet. Marre ! Oui, je suis remontée, je suis remontée !


Rêve d'un personnage (en l'occurrence, le poète Norge)

De quoi ça rêve, un poète ?
Est-ce que ça rêve de mouches ?
Est-ce que ça rêve d'enlèvements ?
Est-ce que ça rêve de peinture ?
Pour en avoir le cœur net, je me suis invité dans le rêve de Norge.
Ça commençait place Rouppe. Il y avait un camelot, un tram et une putain. Ah ! et un cornet de frites.
Je me suis assis à la terrasse du Quick, et il y avait là l'homme et la fille sur la petite roche. Ils étaient seuls au monde, et ils sont montés au paradis. Je les ai suivis. J'ai rencontré un homme dans les fourrés, une fille triste qui avait oublié de mettre de la moustache à son cœur, Aubin, qui cueillait des fraises dans les bois. Puis, j'ai appris qu'Elsa la mouche était morte. Deux minutes avant, elle suçait un coin de paupière d'un enfant qui piétinait les éternités. Il était tout petit, vous pensez bien, mais pas autant que la fourmi qui allait de cette branche à cette pierre. Je me suis demandé pourquoi ça n'avait pas plus d'importance. Alors, je suis entré dans ce qui ressemblait à un couloir d'hôtel, à cause de ses nombreuses portes. La première à droite était justement celle du songe. Mais je ne l'ai pas ouverte car elle donnait sur l'océan, sur des cloportes. Pas compris ? Sur le néant. Après ça, c'est difficile de vivoter. Alors, j'ai bu du vin profond en écoutant la musique des sphères.


Lettre écrite par Norge à son rêve qui n'est plus, afin de le retrouver

Cher monsieur,

Par la présente, je souhaite obtenir de votre part la faveur de vous rencontrer à nouveau. Le premier contact qu'il nous fut donné d'avoir a produit sur moi le plus incroyable effet : pensez-donc, je suis devenu poète ! Si, si, je le dois entièrement à vous, ne soyez pas modeste (je devine votre modestie entre mes mots).

Pourtant, force m'est de reconnaître qu'il vous sera impossible de satisfaire mon impérieux besoin de vous revoir, puisque vous n'êtes plus. Vous me direz que si vous n'êtes plus, à quoi bon écrire cette lettre ? Et vous avez raison. Aussi vais-je plutôt l'adresser à la petite putain du square, à la mouche Elsa, à l'homme et la fille sur la petite roche, à tous ces personnages que vous avez eu, autrefois, la bonté de me faire rencontrer. Soyez-en remercié.

Je vais leur adresser cette lettre à tous à la fois, car tous à la fois, ils sont ce rêve que vous êtes et auquel je m'adresse. Tous à la fois, il redonnent vie, à chaque instant, à celui que vous fûtes en cette nuit à nulle autre pareille où je vous fis. De cette manière, j'espère esquisser de vous une ébauche à laquelle je pourrai adresser ma lettre sans perdre d'emblée l'illusion de le pouvoir faire à cause de la connaissance que j'ai de votre non-existence. Me suivez-vous ? Car si tel était le cas, je pourrais alors me retourner et vous voir, tout absent que vous êtes, alors même que je vous sens intimement présent en moi au moment où j'écris ces quelques lignes, comme on écrit à un ami perdu.

Norge

10 mai 2022

 "Je fais souvent ce rêve" (d'après Verlaine) - Uniquement des mots masculins

Souvent, je rêve de lieux obscurs, profonds abîmes ou sous-sols ténébreux, chemins privé de soleil ou sombres recoins, dans lesquels tantôt je me perds, tantôt je connais de troubles instants, tantôt je débats, tantôt je m'attarde.

J'y croise des inconnus ou des visages familiers. J'y reçois des regards qui me font froid dans le dos ou m'apaisent le cœur. Parfois, je les arpente seul, dans l'effroi ou le calme. Souvent, je m'y plais et souvent je les abhorre. Mais toujours, de leur mystère je me sens pénétré, spectateur consentant de mon propre psychisme que j'étale devant moi délesté de tout pudique apparat.

Au réveil, alors, je sais qu'un fragment de mon propre mystère a trouvé son chemin vers mon être conscient, comme circulent, en le sang, ces éclats invisibles qu'on nomme globules.


"Le sommeil ouvre en nous une auberge à fantômes" (G. Bachelard).
Qu'y a-t-il dans notre auberge ? - Uniquement au féminin

Je connais une auberge à laquelle j'atteins chaque fois que la nuit s'empare de ma conscience. Ne me demandez pas la route pour y parvenir, car toujours elle change. Certaines nuits, d'ailleurs, je m'égare et n'y parviens jamais. Mais qu'elle ait l'allure d'une bâtisse paysanne, l'architecture d'une maison cossue ou tout autre configuration qu'on voudrait lui prêter, lorsque j'y entre, c'est comme en retrouvailles. Aussitôt la porte franchie, je reconnais là des figures familières. Je les cite à la volée : fêlures de vies passées, troublantes coïncidences, rencontres improbables, compagnies douteuses, présences moqueuses, mains tendues, âmes à l'écoute. Je déambule dans cette grande salle à laquelle je prête volontiers ici une cheminée crépitante. Tantôt l'on m'ignore, tantôt l'on m'interpelle. Quand je réponds à ces invites, je prends place à une table car une chaise m'y attend. La conversation peut être longue ou brève, animée ou tranquille. Et lorsqu'en vient la fin, je quitte cette compagnie pour une autre, avec la conviction que mes pérégrinations me mèneront sans faute vers diverses aventures dont je regretterai, parfois, la survenance. À l'heure venue, après les salutations qu'exige la politesse, je quitte l'auberge et me laisse emporter vers les minutes matinales, parfois nocturnes si l'insomnie me guette, où ma conscience éveillée m'attend.


Georges Sand nous écrit une lettre dans laquelle elle nous dit que jamais elle ne rêve de... Insérer "le repos de la nuit ne nous appartient pas".

Cher Manu,

Alors que résonnent les arabesques veloutées des Nocturnes de Frédéric, je réponds à l'irrésistible appel de la plume qui m'enjoins de te raconter l'étrange visite que je reçus hier.

Alors que j'étais plongée dans une agréable rêverie sur ma terrasse, réchauffée des rayons du soleil, savourant le confort de mon transat que j'avais enfin rattrapé, la sonnerie de la porte d'entrée retentit. Mon humeur soudain bougonne me précéda jusqu'à l'huis derrière lequel se tenait un barbu grisonnant. Il se présenta, disant qu'il s'appelait Gaston Bachelard. Je lui demandai ce qu'il souhaitait. Il avait à me dire une chose importante : le repos de la nuit ne nous appartient pas. D'ailleurs, dit-il, avez-vous déjà rêvé de Verlaine ? Non, lui dis-je. Voilà, dit-il, qui corrobore ma théorie. Et il me quitta aussi prestement qu'il était arrivé. Drôle de rencontre, n'est-ce pas ? Je te laisse, Carl Frédéric vient de se réveiller.

Gros poutou,
G.

dimanche 1 mai 2022

19 avril 2022

Interprétation d'un rêve sur base d'un dessin de Yuval Robicheck
On notera d'abord l'absence d'hippopotame, ce qui, en soi, est déjà indicatif des souillures mentales du rêveur. Cela révèle une vacuité volcanique dont les péremptoires offuscations triomphent du nihilisme ambiant. Certes, il y a la figure de Dieu, sous la forme de ce tissu rayé qui s'accroche comme il peut au destin que lui a réservé madame Pervenche, dans le salon, avec la clé anglaise. Soit. On a lu dans le marc de café des soliloques moins obtus.
Passons sur cette trirème qu'Hannibal n'aurait pas reniée - elle n'est là que pour accomplir la parabole du Gestaltgenau fon Leipzig und Kleine Nachtmuzik - et penchons-nous enfin sur la chaise (au départ, ce devait être un tabouret mais ils n'étaient plus de stock chez IKEA). Cette chaise, ce tabouret, ce tabou-chaise, cette chaise est parfaitement tabou, cela va sans dire, et on le comprend à l'aune du mouvement oscillatoire de ce pied dont on ne comprend à qui il appartient en vertu de l'article 1702, alinéa 3, du Code Civil et Rhumatologique (à noter la présence, à la sixième mesure, d'un faux dièse sur le do, greffier, veuillez noter). Ce pied, puisque c'est de lui qu'il s'agit, nous renvoie également à la figure du père, de la mère, du voisin, de l'hôtesse de l'air et des 17 membres du jazz band que ma tante Hortense avait invité dans son jardin pour la Bar Mitsva de son chat dentiste. Ce qui nous amène à l'arbrisseau dont on se demande ce qu'il fait là. Un rien d'ombre, tout au plus. Suivant !

Interprétation d'un rêve sur base de notes
Ce qui est intéressant, dans votre cas, c'est que vous pensiez avoir fait ce rêve. Vous y pensez même tellement, avec une si évidente conviction, que vous avez la certitude qu'il est bien réel. Or, cela m'est apparu pendant que je prenais des notes en vous écoutant, ce rêve, de toute évidence, ne vous appartient pas. Vous vous l'êtes approprié. Ce n'est même pas un transfert, c'est presque du vol, si vous me permettez cette image un peu radicale. Non, ce rêve, croyez-moi, est celui d'un autre. Par contre, il m'est encore difficile de vous dire si c'est le rêve de la cigale, du lycaon ou de la limace. Les pistes se brouillent, vous comprenez ? Chacun de ces trois rêveurs pourrait légitimement prétendre à la paternité, ou à la maternité, du songe en question. Prenez le lycaon, par exemple. Seul lui, a priori, pourrait avoir rêvé qu'on lui faisait des tresses. Mais cette évidence est l'arbre qui cache la forêt des incertitudes. Car si on se réfère aux pissenlits, on est forcé de les attribuer au système onirique de la limace. Au même titre que la chaussure peut être le fruit du seul rêve d'une cigale, vous comprenez ? Alors, vous comprendrez ma perplexité devant tout ceci. Il est certain que ce rêve n'est pas de vous, mais il m'est impossible d'en trouver l'auteur ou l'autrice. Par conséquent, il m'est impossible de l'interpréter. Car ce que je pourrais lire pour le lycaon diffère en tout point de ce que je pourrais lire pour la cigale ou la limace, vous comprenez ? Maintenant, si vous voulez tout de même mon avis sur ce rêve, en partant du principe que c'est bien le vôtre (nous savons que c'est faux mais faisons juste l'exercice), donc, si ce devait être votre produit onirique, je dirais qu'il est temps de consulter et d'envisager une hospitalisation à long terme et lourdement médicamenteuse !

Rêve raconté sur base des notes d'un autre écrivant
Au début, j'étais seul. Je ne sais pas très bien où mais c'était dehors, dans un parc ou un jardin. En tout cas, il y avait un arbre, assez grand mais mince. Et tout à coup, je me vois surgir de derrière cet arbre en faisant tadaaa ! Et je me marre. Puis, un troisième moi surgit à son tour, toujours en faisant tadaaa ! Puis, un quatrième. Et mes plusieurs apparaissent en variant les entrées : il y en a un qui paraît à reculons, un autre en rampant, deux qui sortent ensemble en faisant semblant de se battre et on se marre tous. Puis, on commence à se décomposer. On s'enlève un bras et on le donne au voisin, puis c'est une jambe, la tête, et on s'échange toutes ces parties du corps. Là, je comprends qu'on est tous ivres. Et alors ma mère arrive parce qu'il est tard et que je dois me lever, et elle rit de me voir si plusieurs, elle a son tablier de cuisine avec une cuiller en bois qui sort de la poche, alors elle sort sa cuiller et bat la mesure comme un chef d'orchestre et tous les moi, certains avec trop de bras ou trop de têtes, se mettent à danser et le sol tremble, c'est comme un tremblement de terre, tout est secoué, et l'arbre a disparu. À la place, il y a un fourgon de la gendarmerie, avec son gyrophare qui fonctionne, je suis tout seul et je rentre dedans et je me réveille.

lundi 28 mars 2022

15 mars 2022

Lieu où l'on aimerait rêver

C'est une toute petite planète
Qui n'est pas exempte, cependant,
De la prétention des minuscules.
Pardonnable travers
Si l'on tient compte
De ce fait peu commun :
Elle abrite un réverbère.
D'allure parfaitement classique,
Dans un alliage connu de l'univers seul,
Il pointe parfaitement droit
Et trace, avec la sphère sur laquelle il repose,
Le point d'exclamation de votre stupeur.
Nulle lumière, non.
L'instant laisse aux étoiles
Le monopole de la merveille.
Une proposition propice à la rêverie, non ?
C'est cela, installez-vous.
Acceptez, du réverbère, l'invitation
À poser votre dos
Sur sa fraîcheur métallique
Fermez les yeux,
Le temps d'un battement d'éternité.
Puis, ouvrez-les sur l'immensité.
Ça y est, vous avez commencé à rêver.
Vous avez entendu, quelque part,
Le soliloque du renard
Le froissement du crayon sur la laine du mouton
L'enfant qui ne sait ce qu'est le cambouis
Mais sait déjà tout des roses...
Et si vous restez là assez longtemps,
Alors même que vous n'aurez pas vu
La nuit tomber ou le jour se lever,
Vous entendrez le pas habitué
De l'allumeur de réverbère
Qui vous saluera
Tantôt d'un bonsoir,
Tantôt d'un bonjour.


Et toujours sur les traces du Petit Prince, le basculement dans le rêve...

Je t'entends, renard
Je t'entends, rose
Gare à ses épines
Gare à ses canines

J'entends ton mouton,
Petit Prince
Qui n'a pas appris à dessiner
Mais n'a besoin d'autre compagnie
Que celle d'un réverbère
Et d'une mèche
Tantôt de jour
Et tantôt de nuit

J'entends le chant des sphères
Au plus profond du cambouis
Et j'y poserais bien les fondations
D'une rêverie

Mais entendez, à votre tour,
Les interjections de mes bielles
Et la promesse du vent sur mes ailes
Ça y est ! mon moteur tourne
D'un claquement de capot
Je cesserai de jouer à l'immobilité
Je vais bientôt m'ébrouer
Et dans l'azur parader

Voyez les déserts de nuit
Et leurs menaces tapies à l'arête des dunes
Voyez les cimes acérées
Qui dérouleur leurs mâchoires aveugles
Voyez cette terre des hommes
Que je m'applique à faire rougir
En la lorgnant sans innocence
Voyez les lumières inquiètes
Qui implorent du paysage
Le droit de m'accorder l'asile

Voyez tout cela comme je vous ai entendus,
Renard, rose, Petit Prince et réverbère,
Et dites-moi si mes rêves
Ne valent pas ceux d'un écrivain.
 

mardi 22 mars 2022

Cela en valait-il la peine ?

Pourquoi ce voile sur mon sourire ?

Pourquoi ce pas hésitant à l’orée de la nuit ?

Ai-je à payer un écot au simple fait de vivre ?

Déjà trois questions.

J’abuse.

Il n’y a pas de quoi en faire tout un poème.

Oh ! rien qu’un tout petit.

Pour la forme.

Pour dire qu’il existe.

Juste entre lui et moi.

Il n’a pas beaucoup d’allure.

Je le trouve même gringalet.

C’est vrai, regardez-le.

On dirait qu’il s’excuse.

Un oisillon a plus d’audace.

Donc, un poème.

Pour quoi ?

Pour un sourire voilé ?

Pour un pas hésitant ?

Tout ça pour ça.





Auderghem, mars 2022

dimanche 6 mars 2022

Mouvement continu

Cela sans crier gare
À pas de plume
Tout au plus des signaux de fumée
Mais de feu, point
Il a de ces froideurs

Il cultive la discrétion
Comme on feint le néant
En plein flagrant délit
Avec aplomb

Il ne pipe mot
D'ailleurs, il ne sait pas comme il s'épèle

Dites-lui de s'arrêter un moment
Il accélère le mouvement
Col relevé
Gêne
Il ne voulait pas être vu

Il déteste être interrompu
Il sait que c'est possible
Un coucher de soleil
Un enfant qui dort
L'ombre d'un clocher
Un regard de toi
Sont autant de coups d'arrêt
À son entrain trop jovial

Au fond, il est toujours gagnant
Il est le poisson qui ignore l'hameçon
Ça énerve le pêcheur

Mais rien à faire
Il veut et il aura le dernier mot
Il se campe sur nos vies
Qu'il écrase de sa masse
Pourtant, il ne que fait que passer

Le temps
  

lundi 14 février 2022

Nocturne

Tu seras celle d'un poème

Tu le verras naître dans le goutte à goutte des mots

Tu l'entendras sourdre en ton nom
Murmure désenchanté, peut-être,
D'une langue qui se voudrait acérée

Tu le verras s'inscrire
Dans l'obscure clarté
Avec la patience du nid qui se construit

Tu l'accueilleras
Dans la coupe de tes mains
À laquelle je m'abreuve
Pour t'écrire cette dédicace...

Nuit



mercredi 2 février 2022

15 décembre 2021

Raconter un rêve de manière factuelle
Dans ce rêve, j'étais violoncelliste. Mais cela, je ne l'ai su que plus tard. Je ne l'ai compris que plus tard. Ou plutôt, cela m'est apparu comme une possibilité, à travers laquelle j'ai ancré ce rêve dans une toute relative réalité.
Donc, j'étais violoncelliste. Et dans la première partie du rêve, je me trouvais je ne sais où, assis à une table. Et j'entendais une musique que j'ai reconnue pour être une Rêverie de Robert Schumann. Un morceau typiquement romantique, tout en mélancolie, avec des images d'automne. Cette musique était jouée au piano. Je ne voyais pas le pianiste ou la pianiste, j'entendais, c'est tout. Puis, tout d'un coup, le rêve est comme passé à la seconde partie.
J'étais toujours violoncelliste (enfin, c'est une constatation a posteriori, comme j'ai dit), j'étais toujours assis à une table, et j'entendais le même morceau de Schumann, au piano. Sauf que, cette fois, je voyais le pianiste (car c'était un pianiste). Il se trouvait dans une grande salle de concert, sur la scène, éclairée par les spots de sorte qu'on ne voyait pas le public. Car je supposais qu'il y avait un public. Mais ce qui distinguait encore plus cette seconde partie du rêve de la première, c'est que le pianiste ne jouait pas seul. Il était en duo avec un violoncelliste. J'en déduisis donc deux choses : le morceau devait être une adaptation pour deux instruments, et je finirais bien par voir le violoncelliste sur la scène, à côté du piano.
Mais plus le rêve se déroulait, plus je doutais de la présence du violoncelliste. Jusqu'au moment où le doute ne fut plus permis. Il n'y avait aucun autre musicien sur cette scène, dans cette grande salle de concert dont j'avais entre-temps constaté la vacuité. Le violoncelle que j'entendais, j'en suis sûr maintenant, c'est moi qui en jouais. Quelque part, ailleurs dans mon rêve, je jouais cette mélodie au violoncelle.

Un rêve s'adresse au rêveur
Monsieur, vous venez de rêver, et je suis votre rêve.
Eh bien, je suis déçu, monsieur ! Pour tout vous dire, j'espérais mieux. J'espérais plus. Vous aviez de quoi déployer les ailes d'un condor, et vous avez à peine ouvert les ailes d'un moineau. C'était petit, monsieur. C'était mesquin. Ou du moins timide, terriblement timide ! Vous vous offusquez ? Permettez-moi de l'être davantage. Vous êtes d'une nature finie, monsieur. Si, vous êtes d'une nature finie, ne protestez pas. La question de la finitude occupe d'ailleurs une place quasiment infinie, excusez du paradoxe, dans le champ des pensées humaines. Au contraire, moi, je suis d'une nature infinie. Et ne faites pas cette moue, non, je ne suis pas prétentieux. C'est l'exacte vérité, monsieur. Un rêve est infini, un rêve n'a pas de limites. Alors, cette réduction que vous avez opérée à mon encontre va à l'encontre, justement, de ma nature profonde. Je suis là pour rétablir la justice. Et je veux vous éclairer pour que cela ne se reproduise plus.

Monsieur, je viens de vous rêver, et je suis votre rêveur.
À ce titre, monsieur, je n'ai à recevoir de vous aucune leçon. Il me semble, monsieur, que la colère vous égare et vous aveugle, car vous semblez oublier que si vous existez, c'est grâce à moi. À ce que je sache, pas de rêve sans rêveur. C'est-à-dire que sans moi, pfuit !, vous disparaissez, vous redevenez néant, et tout ce que vous venez de me dire s'efface avec vous. Et seuls mes mots continueront à couvrir ces pages. Tout cela pour vous dire, monsieur, que je n'ai de correction à recevoir d'aucun songe, d'aucune rêverie, d'aucun cauchemar !

Monsieur, si je n'étais que le produit de votre création, comment expliquez-vous que je continue d'exister - la meilleure preuve en étant ces lignes qui s'écrivent - que je continue d'exister, donc, alors même que vous êtes éveillé ? Si votre théorie tenait debout, je devrais avoir cessé d'exister aussitôt votre réveil survenu. Or, je suis toujours là, monsieur. Comment expliquez-vous cela ?

Monsieur, mais c'est parce que je rêve encore, tout simplement. Ce n'est pas bien difficile à comprendre. Ne vous croyez pas une capacité à exister par vous-même, monsieur. Vous n'êtes là que parce que je vous entretiens. Dès que ma conscience s'éveillera, vous vous évaporerez instantanément. Et il n'est même pas dit que je ne me souviendrais de vous.

Monsieur, ce que vous me dites me trouble. Non que vous ayez raison, cela, fort heureusement, n'est pas le cas. Non, monsieur, ce qui me trouble, et me navre, c'est votre ignorance de la chose onirique. Quoi, vous ignorez donc que les rêves existent par eux-mêmes ? Et qu'ils s'invitent dans votre sommeil au gré de leur fantaisie ?

Monsieur, vous rêvez !

Non, monsieur, c'est vous qui rêvez, vous l'avez dit vous-même. Mais enfin, monsieur, comment cela est-il possible ? Et le théories de Freud ? Ou de Jung ?

Monsieur, Freud ou Jung étaient des charlatans qui n'auraient jamais pensé introduire des poules dans un concert ! Toutes leurs théories sont du vent. Je vous dis, monsieur, que rêves et rêveurs forment deux entités à part, et que les premiers existent sans avoir besoin des seconds.

Mais, monsieur, si je m'éveille à l'instant...

Mais vous êtes éveillé, monsieur, dans un rêve : moi. Et à ce propos, je voudrais revenir sur ce qui m'a amené à vous causer, c'est-à-dire la petitesse d'esprit avec laquelle vous m'avez déroulé.

Mais enfin, monsieur, si tel était le cas, cela justifierait bien l'idée selon laquelle ce sont les rêveurs qui produisent les rêves. Vous vous contredisez, monsieur.

Monsieur, nous sommes dans un rêve. Il n'y a pas de contradiction. Il y a des poules à un concert, et un rêve qui vous parle, et ce Titanic qui vous voyez danser n'a pas de bretelles, alors, accrochez vus pommes avant l'assaut final de la brigade sur le nid du condor la la la la la la la la la la (sur l'air de El Condor Pasa)...