samedi 21 novembre 2020

Une histoire et dodo

Et si, chaque fois que je me couchais, je vous racontais une histoire qui n’a pas eu lieu ?

Est-ce qu’on en ferait une habitude de brioche, chaude du four et de la nuit, pour la main gourmande qui sait le lendemain ?

On dirait que ce serait vrai. Même pour le rouge-gorge. Et le coup du sécateur.

On dirait qu’on y croirait, au moins. Ne pas décevoir l’illusion, elle peine tant à sourire.

On dirait que ce n’est pas grave si d’autres pensent le contraire, puisque nous, nous pensons à l’endroit.

On dirait qu’à la prochaine lune, on ferait un tas de toutes ces histoires, et on les flamberait avec nos larmes. Et ça ferait rire les gens.


Formons un demi-cercle et une pensée affable.

Je prends mon élan et je plonge la main dans l’infini des histoires.

Ah ! non, j’en prends une autre : celle-là, elle a eu lieu.







                                    Auderghem, décembre 2020

samedi 7 novembre 2020

D'après Rimbaud...

Départ
C'est l'heure
Pétard
Au cœur

Peinard
Moqueur
Richard
Les fleurs

Tu pleures ?
Rempart
Nuit noire

Demeure
Plus tard
Au bar
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Assez de nuit pour tremper le cri dans l'humeur indocile
Assez de sanglots farouches sur les démarches étonnées
Assez de poings hauts vers la cause évidente
Départ urgent. Et déjà, la fureur intacte au creux de nos calices écarlates.
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D pipés
E ta sœur
P... de m...
A bâbord toute
R pur
T de Ceylan

Je ne vois pas le rapport. Soit.
L'acrostiche a débordé sur la table et s'écoule, sublime langueur, sous le regard enamouré de l'éponge. On voit poindre une idée liquide mais elle est rangée aussi sec. Le fleuve indolent maîtrise son sujet et bientôt, percute le plancher d'une pluie câline. Aussitôt, une ode, un quatrain et un haïku s'envolent au secours des gouttes atterries. L'ode s'empare du D, du P et du A. Le quatrain se charge du E et du R. Le haïku, minimaliste, se contente du T. En formation serrée, les trois aéronefs du langage survolent une paire d'étonnements, un canyon incrédule et une kyrielle de pourquoi, avant de se poser près d'un renard philosophe. On discute. Rendra-t-on à ce départ sa forme initiale ? Les esprits s'échauffent. Il faut dire que les dés sont pipés. Malgré l'air pur et le thé de Ceylan, la bonne humeur file à bâbord toute. Et ta sœur et p... de m... viennent alors mettre un terme à ce qui fut le plus beau faux départ de la littérature. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est le haïku.

28 septembre 2020

Si j'étais perdu en forêt, j'aurais peur de croire
aux ombres lumineuses
aux éclats de silence
aux sentiers indomptés
aux craintes féroces
aux pas immobiles

Si j'étais perdu en forêt, j'aurais peur de ne plus croire
aux enfants de la boue
aux murmures des plumes
aux visages d'écorce
aux lèvres du vent
aux regards des sources

Si j'étais perdu en forêt, j'aurais peur
de parler aux chimères
de sourire aux loups
de capturer la nuit
de manquer à ma parole
d'invoquer une absence
et de me rendre coupable d'y prendre goût
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L'idée de vous perdre en forêt vous a-t-elle déjà effleuré ?
Si vous dites oui, personne ne vous croira. Si vous dites non, vous avez ouvert le bon livre. Mais d'abord, pourquoi se perdre en forêt ? Pour plusieurs raisons. Citons, entre autres, pour échapper à un contrôle fiscal. Ou à l'obligation de se brosser les dents. Ou encore pour cacher cette vilaine coiffure.
Maintenant que vous avez le motif, passons à l'acte. Comment se perdre en forêt ? Là aussi, les solutions sont légion. La plus sûre méthode pour y parvenir est d'entamer une balade vers 18 heures en hiver, sans carte, sans lampe, et de préférence dans la forêt de Brocéliande plutôt que la forêt de Soignes. Certains vont jusqu'à se bander les yeux. C'est envisageable. Mais si cela contribue à garantir le succès de l'opération, on se prive cependant du plaisir de se voir s'égarer. Voilà qui est dommage. Ce serait porter atteinte aux frissons de l'angoisse croissante, de la fatigue s'accumulant dans les mollets, des douleurs généreusement offertes par les ampoules qui crèvent entre les orteils meurtris, des frayeurs causées par d'innocentes essences arboricoles qui craquent à notre passage, des couinements répétitifs de l'estomac où gronde une famine dévorante, du glaçage en règle opéré par la pluie abondante (à ce propos, délaissez le parapluie, s'il vous plaît), de la pénibilité, enfin, de maintenir un état d'éveil alors que le corps, prisonnier de son train-train, réclame un endormissement prompt. Tous ces plaisirs, s'ils sont justement vécus, devraient, en principe, vous mener à l'instant paroxystique, l'orgasme oserions-nous dire, auquel on peut comparer ce moment où vous avez juste envie de mourir. Ce n'est qu'à ce moment-là que votre égarement méritera le qualificatif de réussi. Et lors, vous pourrez vous abandonner au désir morbide avec le sentiment chatoyant d'avoir accompli un geste fort pour le bien-être de l'humanité.
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Et si je n'étais pas dans la forêt
Mais que j'étais la forêt ?
Ce serait arrivé par hasard
Au détour d'un oubli
Je n'aurais pas d'excuse et m'en réjouirais
Car
Je serais vallon
Je serais fougère
Je serais humus
Je pourrais tendre les bras
Et dessinerais les branches où dansent les pendus
Je retournerais la terre de mes ondulations de sève
Je dirais à l'oiseau, à l'horloge, à la vague, à l'étoile, au poète
De prendre appui sur mes ombres
Creusées en nuées ondulantes

Je serais le centre de mon propre monde
Souverain de mes sens
Gardien des pas lourds

Et j'interdirais à quiconque
De proférer la menace
Que je crains au zénith :
L'idée d'être arraché à moi
Pour redevenir celui que j'étais
Avant d'être la forêt