lundi 31 décembre 2018

Haïkus d'hiver


Couché dans mon lit,
Je me prépare à la nuit.
J'ai les pieds glacés.


Un petit vent frais.
Et tous les oiseaux qui chantent
Me parlent du monde.


Je suis immobile
Et mon chien court dans les bois.
Fait plutôt frisquet.


Dans le parc gelé,
Suis-je vraiment seul au monde ?
Un oiseau qui chante.


Ce soir froid, qu'en dire ?
Étalé de tout son long,
Mon chien se prélasse.


Ces cris dans le froid,
C'est un arbre qui piaille.
Ou bien des oiseaux ?


Dans ma rue, pénombre.
L'eau luit de cent scintillements.
Et mon chien renifle...


Dans la nuit, je marche.
La glace sur les voitures
Crée des œuvres d'art. 


L'éveil des bourgeons,
Avec qui le partager ?
Un chien qui trottine.


L'âme vagabonde
Dans la lumière dorée.
Au loin, le printemps.


Sous un soleil froid,
La mésange vient me voir.
Petite papote.


Calme, ce matin.
Oui, la tempête est partie.
Bruyant souvenir.


Février s'endort.
Une lampe dans la nuit.
Tiens, oui, c'est la mienne.


Sommeils agités
Les premiers jours de janvier.
Des pas dans la nuit.


Et puis, tout à coup,
J'entends un autre silence.
Le printemps approche.


Depuis tout à l'heure,
La neige étend son empire.
Tiens, oui, quel silence !


La ville s'éveille
En ce matin froid et noir.
Je ne dors donc plus.


Matin clair et froid,
Et l'ombre de la maison.
Tableau de Magritte.


Titre du tableau :
Corneille sur lampadaire.
Clair-obscur d'hiver.


Perdu dans mes songes,
Une rencontre imprévue.
Chaleur de l'hiver.


Le vent joue de l'orgue
Dans l'immense cathédrale
De hêtres. Croient-ils ?


Quel est ce bipède ?
C'est le héron sur le toit.
Printemps en avance...


En bas, bruits divers.
Un lève-tôt interrompt
Mon rêve d'hiver.


Une bière brune
Et un recueil de poèmes.
L'hiver en douceur.


L'hiver a semé
Le silence dans les rues.
Ça sent les vacances.


Or, je m'interroge :
Ma casquette tiendra-t-elle ?
De la pluie, du vent.


Je suis allongé,
Le piano suspend le temps.
Je retiens l'hiver.


Balade du soir,
Mes pensées partent en fumée.
Cet hiver s'estompe.


Dans le ciel sans voile,
La lune suit mes pas lents.
Bonne idée, l'écharpe. 


Rires de poivrots
Dans la station de métro.
Agapes d'hiver.


Je bois mon café.
Petite branche se plie
Sous son poids de neige.


On parle en anglais
Dans ce métro surchauffé.
Presque au bout du livre.


Allure plus lente.
Peut-être peur de tomber ?
Mes pas dans la neige


Musique et poèmes
Pour une soirée d'hiver.
Dans un monastère.


Non, je n'aime pas
Les pavés gras de janvier.
Signé : le vélo.


Bien plus agité
Que cette nuit d'hiver froide.
Raté le sommeil.


Et ce jour d'hiver
Qui se termine en musique.
Le début de quoi ?

mercredi 26 décembre 2018

Douce nuit

Depuis qu'il a vu le jour, l'humain est fasciné par la nuit.
Elle exerce sur lui un charme tantôt inquiet, tantôt apaisé.

Une chose est sûre, elle l'inspire.
D'ailleurs, c'est à foison que l'on puisera des odes aux heures nocturnes dans le grand vivier de la littérature. Je me limiterai ici à deux poèmes rencontrés au hasard de mes lectures.

L'un est de Marina Tsvétaïéva, poétesse russe du début du XXe siècle. Il est extrait de son recueil "Insomnie" (Gallimard)

Voici encore une fenêtre
où encore on ne dort.
Peut-être – on boit du vin
peut-être – on est assis.
Ou simplement ils sont deux
qui ne défont pas leurs mains.
Dans chaque maison, ami,
il y a une fenêtre ainsi.

Cri des ruptures et des rencontres,
c'est toi, fenêtre dans la nuit !
Peut-être – centaines de chandelles,
peut-être – trois chandelles.
Non, point de repos
pour mon esprit.
Dans ma maison toujours
il en fut ainsi.

Prie, ami, pour la maison sans sommeil,
pour la fenêtre éclairée.




L'autre est de Claude Roy, poète français du XXe siècle également. Il est extrait de son recueil "Au sommeil la nuit", édité dans "Poésies" (Gallimard)

Elle est venue la nuit de plus loin que la nuit
À pas de vent de loup de fougère et de menthe
Voleuse de parfum impure fausse nuit
Fille aux cheveux d'écume issus de l'eau dormante

Après l'aube la nuit tisseuse de chansons
S'endort d'un songe lourd d'astres et de méduses
Et les jambes mêlées au fuseau des saisons
Veille sur le repos des étoiles confuses

Sa main laisse glisser les constellations
Le sable fabuleux des mondes solitaires
La poussière de Dieu et de sa création
La semence de feu qui féconde les terres

Mais elle vient la nuit de plus loin que la nuit
À pas de vent de mer de feu de loup de piège
Bergère sans troupeau glaneuse sans épis
Aveugle aux lèvres d'or qui marche sur la neige.


Pour ma part, la nuit est un territoire d'écriture. Non pas la nuit insomniaque et fiévreuse des petites heures du matin ou du sommeil impossible à trouver. Elle est, heureusement, rare.

Non, simplement l'obscurité. Le noir d'un soir, tombé tôt en hiver. Cette noirceur-là est propice aux histoires. Ce que l'œil ne voit pas, l'imagination le perçoit. Rien à voir dehors, tout est intérieur. Rideaux fermés, plume ouverte...

Et point trop de quidams pour être dérangé. Un peu de misanthropie de bon aloi. L'heure des visites est passée, on n'y est plus pour personne. On en est peut-être plus généreux, d'ailleurs. Porte close, cœur ouvert...

J'aime la nuit pour la liberté que j'y trouve.
Soleil éteint, esprit ouvert...

mercredi 19 décembre 2018

Des petits oiseaux sans histoire


Petits oiseaux, de Yôko Ogawa, est une petite perle, un petit moment suspendu.

On y rencontre deux frères dont on suit la vie, depuis leur enfance jusqu'à la mort du cadet.
L'aîné est handicapé. Il vit dans son monde et ne parle d'autre langue que l'ancien parler des oiseaux. Et seul son frère cadet le comprend. Le plus jeune va consacrer sa vie à s'occuper de son aîné, qui n'a de véritable intérêt que pour les oiseaux. Il s'occupe de la volière de l'école voisine. Il meurt prématurément et le cadet prend le relais. Il sera le monsieur aux petits oiseaux.

Voilà, c'est tout.

Il ne se passe rien. Si rien ne sont des sucettes achetées au magasin du coin, chaque mercredi. Ou une histoire d'amour en devenir mais toujours en suspens.

Dans ce conte philosophique moderne, l'auteure nous invite à côtoyer les personnages dans une intimité qui se tisse au fil des pages alors que rien ne survient. Si ce n'est un quotidien lissé par l'érosion des habitudes.

Moi qui suis plutôt friand d'histoires, justement, je me suis laissé surprendre. J'ai vite compris que je n'allais pas être témoin d'aventures extraordinaires. Et c'était bien. Ce livre est une méditation, il est fermement ancré dans le présent de ses personnages. Chaque moment de lecture est une parenthèse salutaire.

Une invitation à apprécier le peu.



mercredi 12 décembre 2018

Pourquoi n'y a-t-il pas de cours d'écriture en académie ?



Si vous avez envie d'apprendre le piano ou le chant lyrique, l'art dramatique ou la peinture, le solfège ou la sculpture, vous avez l'embarras du choix. Dans quasiment chaque commune du pays, vous trouverez une académie. Académie des Beaux-Arts ou académie de musique (qui inclut généralement les arts de la parole).

Mais quid de l'écriture ?

À ma connaissance, l'écriture ne fait pas partie du programme des académies. Et celle ou celui qui veut apprendre à écrire des nouvelles, des romans ou des poèmes doit se tourner vers des ateliers ou des cours privés.

Pourquoi ?

Est-ce parce que l'apprentissage de l'écriture est inscrit dans les programmes scolaires ? Certes. Mais on n'y apprend pas, pour autant, à concevoir une nouvelle ou un roman. L'école se limite à la sphère technique de l'écriture, sans aborder la dimension artistique. Cet aspect de l'apprentissage pourrait être assumé par les académies. On y trouve bien des cours d'écriture musicale (donc, de composition) alors, pourquoi pas des cours d'écriture littéraire ?

Les formations en atelier, via des ASBL ou des particuliers, ne manquent pas. Mais elles sont souvent proposées à des prix qui peuvent décourager les meilleures volontés. L'inscription dans une académie représente un budget nettement plus abordable. Voilà qui pourrait ouvrir des portes...

Pour autant, de tels cours auraient-ils du succès comme les cours de piano ou de théâtre ? J'avoue ne pas connaître la réponse. Peut-être ces cours d'écriture en académie n'existent-ils pas tout simplement parce qu'on s'est déjà posé la question de leur opportunité et qu'on a constaté un engouement insuffisant pour les instaurer ? Les parents se projettent peut-être plus facilement dans un.e futur.e pianiste que dans un.e futur.e auteur.e...

Qui sait ?



mercredi 5 décembre 2018

Écrire, c'est... ?

J'ai de la chance.

Je voulais recenser des citations d'écrivain.e.s sur l'acte d'écrire.
Je commençais donc à sillonner la toile en quête de ces déclarations quand je suis tombé sur une vidéo dans laquelle plusieurs auteur.e.s s'expriment à ce sujet.
Du pain béni pour mes doigts paresseux ! Y a plus qu'à regarder. Merci de m'avoir lu et à bientôt...



Une chute en entraînant une autre, je suis également tombé sur cette page web regorgeant de citations.
Nous avons là assez de matière.

Un constat s'impose, même s'il est prévisible : il y a autant de définitions de l'écriture que d'écrivain.e.s. Question de personnalité, de sensibilité, de nécessité.

Cependant, la définition que j'affectionne le plus est celle de Christian Bobin :
"Écrire, c'est dessiner une porte sur un mur infranchissable, et puis l'ouvrir."

Je m'y retrouve. J'aime cette idée d'ouvrir une porte et d'inviter qui le souhaite à entrer pour découvrir ce qui est écrit. J'apprécie cette invitation.

Pour ma part, écrire, c'est raconter une histoire. Elles sont nombreuses à germer en moi. Les plus éphémères ne durent que quelques secondes. Certaines ne sont que des débuts, d'autres des fins. Les plus coriaces finissent par se laisser coucher sur le clavier. Il y a celles qui, aussitôt apparues, m'impriment une urgence d'écriture. Et celles qui prennent leur temps, tergiversent, se font oublier, puis réapparaissent. Elles seront peut-être écrites, un jour.

Quoi qu'il en soit, il y a toujours cette envie de raconter. Je ne suis pas conteur, plutôt raconteur. J'ouvre la porte de mon imaginaire, et qui passe devant peut entrer à sa guise.


mercredi 28 novembre 2018

Misère, quel froid !



Le plus souvent, la littérature associe la misère à la faim. La question de la nourriture est toujours cruciale pour les personnages démunis. Pour eux, le jeûne est quotidien, le bouillon clair est une chance, une pomme de terre est quasiment un luxe.

Leur faim peut alors prendre une tournure obsessionnelle et virer au cauchemar, comme dans "La Grasse Matinée" de Prévert :

Il est terrible
le petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain

il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim

elle est terrible aussi la tête de l'homme
la tête de l'homme qui a faim
quand il se regarde à six heures du matin
dans la glace du grand magasin
une tête couleur de poussière
ce n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde
dans la vitrine de chez Potin
il s'en fout de sa tête l'homme
il n'y pense pas
il songe
il imagine une autre tête
une tête de veau par exemple
avec une sauce de vinaigre
ou une tête de n'importe quoi qui se mange
et il remue doucement la mâchoire
doucement
et il grince des dents doucement
car le monde se paye sa tête
et il ne peut rien contre ce monde
et il compte sur ses doigts un deux trois
un deux trois
cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé
et il a beau se répéter depuis trois jours
Ça ne peut pas durer
ça dure
trois jours
trois nuits
sans manger
et derrière ces vitres
ces pâtés ces bouteilles ces conserves
poissons morts protégés par des boîtes
boîtes protégées par les vitres
vitres protégées par les flics
flics protégés par la crainte
que de barricades pour six malheureuses sardines...
Un peu plus loin le bistrot
café-crème et croissants chauds
l'homme titube

et dans l'intérieur de sa tête un brouillard de mots
sardines à manger

oeuf dur café-crème
café arrosé rhum
café-crème
café-crème
café-crime arrosé sang !...
Un homme très estimé dans son quartier a été égorgé en plein jour

l'assassin le vagabond lui a volé deux francs
soit un café arrosé
zéro francs soixante-dix

deux tartines beurrées
et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.
Il est terrible
le petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain

il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim.

Je dirais, cependant, que la misère est aussi liée au froid.
Au travers de mes lectures, je vois que les personnages misérables grelottent, gèlent, tremblent, sont gelés ou transis... La froidure semble s'acharner sur eux. Cette prépondérance du froid apparaît, par exemple, dans "Le Mendiant", de Victor Hugo :

Un pauvre homme passait dans le givre et le vent.
Je cognai sur ma vitre ; il s'arrêta devant
Ma porte, que j'ouvris d'une façon civile.
Les ânes revenaient du marché de la ville,

Portant les paysans accroupis sur leurs bâts.
C'était le vieux qui vit dans une niche au bas
De la montée, et rêve, attendant, solitaire,
Un rayon du ciel triste, un liard de la terre,
Tendant les mains pour l'homme et les joignant pour Dieu.

Je lui criai : « Venez vous réchauffer un peu.
Comment vous nommez-vous ? » Il me dit : « Je me nomme
Le pauvre. » Je lui pris la main : « Entrez, brave homme. »
Et je lui fis donner une jatte de lait.
Le vieillard grelottait de froid ; il me parlait,
Et je lui répondais, pensif et sans l'entendre.
« Vos habits sont mouillés », dis-je, « il faut les étendre,

Devant la cheminée. » Il s'approcha du feu.
Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu,
É talé largement sur la chaude fournaise,
Piqué de mille trous par la lueur de braise,
Couvrait l'âtre, et semblait un ciel noir étoilé.
Et, pendant qu'il séchait ce haillon désolé
D'où ruisselait la pluie et l'eau des fondrières,
Je songeais que cet homme était plein de prières,
Et je regardais, sourd à ce que nous disions,
Sa bure où je voyais des constellations.



Évidemment, la faim et le froid œuvrent également de concert, comme dans "Les Effarés", de Rimbaud :

Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,
A genoux, cinq petits, - misère ! -
Regardent le Boulanger faire
Le lourd pain blond.

Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise et qui l'enfourne
Dans un trou clair.

Ils écoutent le bon pain cuire.
Le Boulanger au gras sourire
Grogne un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge
Chaud comme un sein.
Quand pour quelque médianoche,
Façonné comme une brioche
On sort le pain,

Quand, sous les poutres enfumées,
Chantent les croûtes parfumées
Et les grillons,

Que ce trou chaud souffle la vie,
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,

Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres Jésus pleins de givre,

Qu'ils sont là tous,
Collant leurs petits museaux roses
Au treillage, grognant des choses
Entre les trous,
Tout bêtes, faisant leurs prières
Et repliés vers ces lumières
Du ciel rouvert,

Si fort qu'ils crèvent leur culotte
Et que leur chemise tremblote
Au vent d'hiver.

La faim est criante. Elle a l'honnêteté pour elle. Elle nous tenaille de visu.
Le froid, lui, est sournois. Il s'insinue, il sape, il tue dans le silence, en un endormissement.
Dans nos villes, c'est plus souvent lui qui fait les titres de la presse au plus glacial de l'hiver...






mercredi 21 novembre 2018

Les mots justes

J'ai envie de dire une énormité !
S'il n'y avait qu'un poète, ce serait Norge.

Pas de réactions ? Je continue.
S'il n'y avait qu'un seul vers de lui, ce serait

Deux pochards sentimentaux
trébuchent des obscénités
aux passantes accélérées.

Rassurez-vous, Norge n'est pas le seul poète et c'est bien heureux. Cela dit, il m'est un indispensable. Son universalité me touche.

Et ce vers, tiré du poème Place Rouppe, est probablement mon préféré. Par le choix des mots, l'audace dans le raccourci qui fait d'un verbe, un autre. En neuf mots, Norge a éveillé en moi la sympathie pour ces pochards et l'empathie pour ces passantes fuyantes. En neuf mots, il a peint tout un fait de société.

Il a eu d'autres éclats, bien sûr.

On s'entoge encore une fois
du faux habit de soi-même

ou encore

Un crampon dans le sapin,
Le nœud est déjà tout lisse,
Louis, ton chagrin s'y glisse,
pends-le bien.

Certes, c'est faire œuvre de poète que de rechercher le mot juste. Ou plutôt de saisir le mot juste au vol, quand il se présente. Je ne pense pas qu'on cherche, on y passerait trop de temps. On laisse venir, ça va plus vite. Mais pour laisser venir encore faut-il laisser la place. Tout l'art poétique...



mercredi 14 novembre 2018

L'arbre qui cache la forêt

Ou la question de la virtuosité.

J'ai suivi la 34e Horde.
J'ai suivi la trace du neuvième Golgoth.
J'ai atteint l'Extrême-Amont du roman d'Alain Damasio, "La Horde du Contrevent".
Ce ne fut pas un chemin facile.

La quatrième de couverture parle d'un auteur qui écrit peu par exigence.
Je veux bien le croire. L'écriture est en effet exigeante. C'est de la virtuosité. À l'excès.
Trop souvent, je n'ai vu qu'elle. L'arbre qui cache la forêt de l'histoire.

"La horde du Contrevent" m'apparaît comme un exercice de style. À l'instar de certaines mélodies de Paganini. Virtuose lui-même, il composait pour les virtuoses. Je n'ai peut-être pas l'oreille assez formée, mais quand je l'écoute, je n'entends plus la mélodie. J'entends la sueur du musicien. J'entends sa prouesse. J'entends l'archet prendre feu. Cela me distrait et je rate ce qui fait la beauté de l'œuvre : son cœur. Quand la virtuosité en arrive là, elle devient défaut. C'est souvent comme telle que je la ressens.

Je ne doute pas un seul instant qu'Alain Damasio ait mis tout son cœur dans l'écriture de ce roman de haut vol. Il y a mis bien plus que son cœur et cela se lit trop. Habituellement, j'aime sentir la présence de l'auteur dans un livre. Cela crée une connivence qui me plaît. Ici, je me suis senti bousculé et parfois, exclu. Il n'y en avait que pour lui. J'avais le sentiment qu'il écrivait pour atteindre une maestria plutôt que pour m'atteindre, moi, lecteur.

Quoi qu'il en soit, l'histoire est prodigieuse, haletante. Sans elle, je n'aurais pas été jusqu'au bout. Je regrette d'avoir eu la vue gênée par cet arbre. J'aurais aimé le réduire, d'un coup de cognée, afin de mieux apprécier, de mieux saisir, l'ample beauté de la forêt qu'il s'ingéniait à me cacher.


dimanche 11 novembre 2018

Haïkus d'automne


Gris, le ciel si bas,
Mais la lumière en mon cœur.
Poésie, toujours.


Un canapé blanc
Au beau milieu du trottoir.
Mais la nuit est fraîche.


Dans le matin frais,
La plume blanche qui tombe.
Moment suspendu.


Dimanche d'automne
Difficile à prononcer :
procrastination.


Septembre jazzy,
Il joue de la batterie.
Il joue, c'est le mot.


Quand les feuilles tombent,
Montent les notes de jazz.
Oscar Peterson.


Il fait frais dehors.
Ici, ça ne se sent pas.
Le piano s'enflamme.


Une feuille rouge
Là, sur ma voiture blanche.
Cadeau de l'automne...


Le soleil est frais.
Le silence est dans le tram.
Tout est à sa place.


Cette pluie est fraîche.
Les oiseaux, quand migrent-ils ?
Le temps passe vite.


Pluie d'automne. Et vent.
Les feuilles rouges qui dansent.
La chaleur du thé.



Là, dans le métro,
Toujours la même mendiante.
L'automne fraîchit.


L'automne, une table,
Tête-à-tête avec ma bière.
Soirée poétique.








mercredi 7 novembre 2018

Quand je me suis vu ne rien voir

Depuis le mois de septembre, je suis un atelier d'écriture intitulé "Mystère et poésie du quotidien".

La poésie du quotidien.
C'est un chemin qui m'invite. Trouver la source de l'émerveillement au jour le jour, savourer la jubilation de l'instant, j'y aspire de toutes mes forces. Parce que le mystère et la poésie représentent des échappées salutaires et rendent notre monde plus beau. L'écriture de haïkus, instants saisis, fait partie de cette démarche...

Au cours de cet atelier, il m'a été donné de répondre à deux questions qui m'ont interpellé et dont j'ai eu plaisir à chercher les réponses. Les voici.

En quoi y a-t-il du mystère dans le quotidien ?
Le jour se lève, le jour s’écoule, le jour se couche. Bis repetita. Encore et encore, litanie infinie d’une horlogerie finement huilée. Cependant, les secondes ne s’égrènent pas, c’est nous qui les distillons avec la patience de ceux qui savent qu’ils iront au bout, de toute façon. Et pas un seul pour s’étonner que les couleurs du jour ne soient jamais les mêmes. Que la trajectoire du soleil ne soit déviée, que la même seconde de la veille n’ait qu’une pâle ressemblance avec celle d’aujourd’hui, ressemblance que nous lui prêtons parce que nous n’avons pas pris le temps d’écouter le bruit de la grenouille qui plonge et que nous avons donc raté l’instant. Effarante exactitude d’un recommencement qui, contre toute attente, n’a jamais lieu. Jumeaux aussi peu semblables qu’on puisse le croire, les jours se phagocytent les uns les autres et c’est à celui qui prétendra être le quotidien suprême, qui dicte sa loi et nous impose son éternité. Nous sommes les dupes consentants de ce mensonge. Avoir vécu autant de vies que de jours, tel est notre destin. Ne pas le savoir, tel est le mystère.


Quand y a-t-il de la poésie dans mon quotidien ?
Je reviens sur la grenouille qui plonge*.
Ce n’est pas banal. Elle plonge, sans se douter le moins du monde qu’elle répondait à toutes nos questions voraces sur la beauté de la vie. C’est un petit bond pour la grenouille, mais un grand bond pour l’humain. Car il est de la petitesse de cet acte comme de l’immensité du cosmos : une infinité. La grenouille souligne de sa banalité l’infinie beauté de chacun des instants que nous nous consacrons à vivre. Elle révèle en nous cette fragilité délicieuse que nous cachons par crainte d’attirer sur nous des regards. Elle murmure à notre âme des promesses de délectations langoureuses. Elle ouvre un couteau et nous écorche doucement pour que nous ressentions pleinement la sublime douleur d’être défait de sa pudeur. Je l’entends, parfois, la grenouille. Quand j’ai baissé la garde. Quand je me suis vu ne rien voir. Quand je m’éveille soudain à la beauté. C’est alors un rayon de poésie qui vient percer l’ombre de la journée.



* Il s'agit de la grenouille de Basho :

vieille mare
une grenouille plonge
bruit de l'eau



dimanche 28 octobre 2018

"Auprès de mon arbre, je vivais heureux..."

Je suis tombé sur ce poème de Liliane Wouters, extrait de son recueil "Trois visages de l'écrit", publié chez Espace Nord :


Tantième expédition parmi les hommes.
Dans chacun d'eux, il y en a
sept fois sept mille, dans chacun
le père de son père jusqu'à la
génération première.

[...]

Mais à travers tout je suis moi.
Par mon seul souffle je respire
et dans mon sang multiple je
demeure unique.



Nous avons tous une généalogie, un arbre duquel nous descendons (car l'humain descend de l'arbre et non du singe). Un arbre qui nous a abrités depuis notre naissance. La branche sur laquelle nous étions assis était celle de notre Adam et notre Ève. Père et mère. Eux mêmes issus d'autres branches, et ainsi de suite. En nous coule la sève de cet arbre aux racines parfois immémoriales.

Mais en dépit de cet héritage lourd - sept fois sept mille fois trop lourd, pourrait-on dire -, chacun de nous reste unique. Or, c'est bien souvent de notre spécificité que naît notre puissance au monde.

Ce poème me l'a dit comme pour me rappeler cette évidence à laquelle, trop souvent, nous tournons le dos...

vendredi 6 juillet 2018

Bonjour

Il y a tellement de joie dans les ahanements de cette jeune chienne venue réclamer son content de caresses.

Son bonjour n’est pas dit, mais il est sonore comme le reflet de son âme canine dans ses prunelles.


Et dans le bonjour de ces deux enfants, éphémères voisins de vacances, qui s’approchent timidement pour ne pas rater la prochaine conversation qu’ils pourraient avoir avec moi.

Leur bonjour n’est pas dit non plus, mais il a la rondeur du pain que le four va bientôt délivrer.


Même tu, un bonjour est une poudre aux yeux. Pas de celles qu’on jette pour le jaillissement d’une tromperie. C’est une poudre d’or qui prend le temps de nous couvrir, et nous rend imperméables à l’indifférence.


Car si l’autre est différent, il est aussi égal. Et son bonjour a des saveurs de bonté.


Je suis toujours surpris quand je salue quelqu’un au détour d’une promenade forestière. Surpris de son bonjour, lancé parfois avec éclat, qui me cueille à l’improviste sur la terre de mes pensées.

Surpris, aussi, parfois, de mon propre bonjour offert en cadeau parce qu’à cet instant-là, j’ai envie d’offrir.


Et toujours, après la surprise, vient la joie. Car au moment de ce bonjour, ce sont deux étoiles qui ne s’ignorent plus, et dont l’éclat perdure.




                    Toscane, 2018

mercredi 4 juillet 2018

Crépuscule

Et cette stupeur d'être déjà dans la nuit
Au creux d'une lumière gobée par les mouches
Avec cette lancinante, cette exaspérante question du lendemain.

Dans cette nuit orgueilleuse qui jouit du droit de reprendre ses droits
On n'est déjà plus qu'un oubli
Alors même qu'on ne se rappelle pas si demain était bien.

Les mouches, elles, ont la curiosité nerveuse de l'éphémère
Elles n'osent pas les élucubrations dont nous faisons notre lit.

Cette chape d'encre constellée de regards nous toise, infatigable,
Et même les moissonneuses en rient.
Nous n'avons pour sourire qu'une grimace.

La nuit est un éblouissement aux racines profondes qui nous prend au dépourvu,
Les yeux trop ouverts, naïfs.

On n'a pas senti les graines pulser sous la terre première.
On n'a pas fléchi sous le vent qui faisait de son mieux.
Troupeau vaquant aux têtes penchées,
Nous n'avons pas assez bu notre éveil.

Alors, nous allumons pour les mouches et leurs entêtements câlins.
Nous entamons des conversations de papier.
Nous fêlons les cloches aux bourdons trop lourds
Pour que cesse ce beuglement mat annonciateur
De la reine de la nuit, souveraine de nos angoisses.

                                                                                                Toscane, 2018

mardi 3 juillet 2018

Toscane

Quatre volètent et mille autres nous disent

Leurs quatre voluptés de papillons.

D’un battement d’ailes blanches, ils irisent

L’air que, sans vergogne, nous épions.


Quatre volètent, et cent autres nous disent

Leurs quatre gracieusetés d’hirondelles.

Chasseresses impitoyables dans la bise,

Elles nous offrent un ballet irréel.


Quatre volètent et tant d’autres nous disent

Leurs quatre entêtements de guêpes. Las  !

Elles bourdonnent partout leur gourmandise

À laquelle on cède de guerre lasse.


Sur les coteaux, au faîte des collines,

Les oliviers tracent l’ombre qu’ils peuvent,

Murmurant de leurs feuilles opalines

Des mots gras dont les grillons s’émeuvent.


Les blés loquaces haranguent le soleil

Et c’est à qui mûrira le plus blond,

Tandis que sous l’ombre de fleurs vermeilles,

Un lézard rit au frais de tout son long.


Aujourd’hui, plus rien ne bouge en Toscane.

Mais dès demain, ce sera dans les champs

Le retour de cette armée de cocagne,

Les laboureurs fidèles à leur chant.


Les collines ondoient en vagues d’or.

En leurs sommets ondoient, comme des nefs,

Des villes fortifiées aux fiers abords

Que l’on aime déjà d’un regard bref.


Là, ce ne sont que beautés et splendeurs

Dans la toile envoûtante des ruelles.

Tantôt, c’est une chapelle, ô candeur,

Tantôt, c’est une taverne, ô cruelle.


Un peu de pecorino et de pain,

Une image sainte, un bourg médiéval,

La beauté des courbes des Apennins.

C’est la Toscane, beauté déloyale.


                                                                                                            Toscane, 2018