mercredi 30 janvier 2019

Neige

Sucre impalpable sur le gâteau du paysage.
Une fois de plus, le monde est en noir et blanc.
Une main souple a plongé dans nos rêves d'enfants
Pour créer la merveille au seuil de nos yeux trop sages.

Neige, neige partout, neige froide.
Nos pas dans la neige ont la mélancolie féroce
D'un chemin d'oubli que n'ont pas encore les gosses,
Quand ils gloussent en haut de la pente roide.

Quel pinceau a su faire naître ce décor
Avec ses branches alourdies ?
Cette toile patiemment ourdie
En une nuit longue encore.

Qu'a-t-il à nous dire, cet hiver,
En un monologue sans fin,
Alors que nous espérons enfin
Le retour du printemps, du vert ?

Veut-il nous remettre en mémoire
La beauté des neiges d'antan ?
Veut-il nous dire "attends,
Et regarde encore ces étangs en moire" ?

Veut-il se faire plus présent
Pour se faire oublier mieux ?
Loin du cœur, loin des yeux,
Lorsque le printemps est instant.

Allez, va, garde tes gels et tes brumes
Pour une prochaine oraison.
Laisse-nous réparer notre maison.
Au revoir, saison de rhume.

Tu le sais bien, à chaque fois,
Nous sommes contents de te revoir.
Toi qui nourris en nous, ô espoir,
Envers le printemps, une nouvelle foi.

vendredi 25 janvier 2019

Jour d'école

Arriver
À l'heure
Le retard
Peur au ventre
Dépêchons ! Dépêchons !
On se faufile, fuit la file, fuit la foule
Moi d'abord ! Moi d'abord !
Qu'ils pensent tous

Pare-choc, pare-brise, par pitié !
Avance ! Avance !
Pas le temps.
De penser.
Aux autres
Qu'ils pensent tous

Là-bas
L'horizon
Ma vie
Échéance
Mes choix
Limites
Un bureau
Un patron
Un client
Un café
Un e-mail
Ils m'attendent, ils me jugent
Coupable !
Sentence
Certitude
Mon salut ?
Piétiner.
Ignorer.
Prendre ma place,
Qu'ils pensent tous

Je stationne, je cautionne.
J'ai tous les droits.
Le monde s'arrête ?
J'ai tous les droits.
Je te ralentis ?
J'ai tous les droits.
Je te bloque ?
J'ai tous les droits.
Qu'ils pensent tous

Son cartable ? Son goûter ? Ses souliers ? Son caca ? Ses névroses ? Ses faiblesses ? Son avenir ?
Tout vérifier ! Tout vérifier !
L'oubli n'est pas pardonné.
L'école. La jungle. Lutte.

Arraché à la voiture
Par la cloche
Qui sonne
Je laisse cet enfant
Quitter ma protection
L'abandonne à un sort
Que je ne maîtrise pas
Il va peut-être mourir
Maintenant
Si je ne le regarde pas
Si je ne m'arrête pas encore
Deux minutes
Le voir
Sinon mourir
Sinon
Qu'ils pensent tous

Parents paniques

lundi 21 janvier 2019

Petit homme en colère

Petits hommes en colère
Courent, courent, haleine en rade.
Trépignent leur impatience
De se regarder grandir.

Petits hommes en colère,
Rageurs,
Sensibles.
Perdus
Au milieu d'une haie de doigts levés
Pour mieux les confondre avant demain.
Demain, quand ils lèveront eux-mêmes le doigt
Sans comprendre qu'ils confondent, eux aussi.

Petits hommes en colère,
Les bras tendus d'un amour qui les hante.
Mais réflexe de brûlure quand on les touche.
Et toujours cette réponse qui s'éructe
Un peu malgré eux, un peu.

Petits hommes en colère
Qui savent sans savoir,
Qui ignorent et le savent,
Et touchent d'un doigt de vérité
Cet instant où l'on n'est plus enfant
Et pas encore adulte.

J'en ai un à la maison.
Il trépigne.
Il rage.
Il est perdu, confondu.
Il tend ses bras,
Sait, ne sait pas

Parfois, ses yeux apprivoisent une étoile
Et la font danser pour quelques instants légers
Où il touche à l'infini,
Où il est pure beauté.
Parfois, il a cette âme des grands voyageurs
Qui aiment se laisser surprendre
Au détour d'un pas.
Parfois, il redevient ce regard pénétrant
Que j'ai salué gorge nouée au premier regard.

Mais ça, c'est seulement parfois.
Parce que le plus souvent, c'est un petit homme en colère.

jeudi 17 janvier 2019

Rendez-vous

La nuit lentement se délite
Dans les élans d'une aube écrite
En gestes d'hésitation.
Réveil en insémination.

Être cet être en devenir,
Une promesse d'avenir,
Mais sans entendre les sirènes
Chanter : pour le moment, ça peine.

Comme une envie de tout fermer,
Se détacher du bras armé
Qui nous contraint dedans l'agir.
Troupeau de museaux à mugir.

Question : ouvrir les yeux, pourquoi ?
Pas mieux en soi de rester coi ?
L'immobile extase séduit,
Précieuse absence d'envie.

Bien entendu, c'est trop facile,
C'est un peu court et trop docile,
Jeune homme. D'ailleurs, qu'on y pense,
La vie a de ces exigences.

Elle demande d'exister,
Pas seulement de subsister
Dans le métro boulot dodo.
La déprime, au fond, a bon dos.

Tendre le bras, toucher du doigt
Ce que l'on veut, ce que l'on doit.
Puis, accepter le rendez-vous.
C'est toi, c'est eux, c'est nous, c'est vous.

C'est tous ceux qui en ont envie,
De se trouver, rester en vie.
Dépasser troupeau de museaux,
Prendre le large à pleins naseaux.

Pleine pelletée de terreau,
Planter la graine de héros,
Bien tasser et puis arroser.
Ça va pousser, ça va oser !

Une prochaine floraison
Qui nous ébranle la raison.
Ouvrir, sortir, partir, et quoi ?
Il n'est plus question d'être coi.

La nuit lentement se délite
Dans les élans d'une aube en fuite.
Le rendez-vous est pour bientôt,
Ce n'était vraiment pas trop tôt.

mercredi 16 janvier 2019

Lecture aimante


Ce livre est un des premiers essais d'écriture automatique réalisé par les surréalistes, en 1919. André Breton le considérait comme le premier ouvrage surréaliste.
Le principe ? Écrire en tâchant de ne faire intervenir ni la conscience ni la volonté. Laisser courir la plume.

Lâcher prise.

Le résultat est fascinant. Magnétique.
Ils portent bien leur qualificatif, ces champs-là.

On lit et, par réflexe, on cherche un sens. Les premiers mots, ça va. On tient un propos, une idée. Puis intervient le premier mot de rupture. On perd le sens, on passe à un autre. Ce n'est pas grave, une rupture, c'est un dynamisme qui s'installe. Mais le sens continue à s'étioler, à muer. On passe du coq à l'âne, le fil est rompu.

Sauf que ce fil, on ne veut pas le lâcher, et on poursuit la lecture pour le retrouver. Et de fil en aiguille, on lit, on lit, aimanté.

Les textes ne sont pas très longs, quelques pages tout au plus. On les sirote piano, petite bouchées gourmandes qu'on se réserve pour un moment à part. Il y a des séquences merveilleuses, de petits colliers de mots qui s'alignent avec élégance. Ils écrivent une musique qui reste dans la tête, un phrasé qu'on reprend une fois, deux fois...

La dernière partie du livre est consacrée à deux pièces de théâtre, écrites selon le même principe. Les personnages de la deuxième valent à eux seuls le détour :
Parapluie
Robe de chambre
Machine à coudre
Un inconnu

Mettre un tel texte en scène et l'interpréter doit tenir de la joie pure. Et le public ? Bah...

De cette lecture, il reste comme une envie d'essayer. Permission accordée ?

lundi 14 janvier 2019

Elle aux cheveux d'argent

Elle aux cheveux d'argent,
Conquise d'une rose glissée,
A jeté sur mes pas
Le souffle de la même rose.
Éclats des voix en murmures de soie,
Ses paroles ont la clarté des aurores
Qui ne connaissent ni la brume ni l'oubli.

Elle aux cheveux d'argent
Possède en son écrin
Le diamant d'un regard qu'on ne veut pas quitter,
Le galbe de la coupe où tout verser pour s'enivrer,
Le souffle d'une résurrection promise et infiniment permise.

Elle aux cheveux d'argent
Passe d'un sourire aux astres,
Fait le détour d'une ondée en douceur
Et s'achève à la croisée des mains qui se touchent pour la première fois, chaque fois, chaque fois...

Elle aux cheveux d'argent
Se tient au seuil de ma joie
Et tisse de sa patience immaculée la trame de mes fascinations
Que réverbère sans lassitude l'hôte battant de ma poitrine, à son rythme, idéal,
Jusqu'à n'en plus finir de louer cet instant où de la rencontrer,
Elle aux cheveux d'argent,
Me fut fait le don.

mercredi 9 janvier 2019

Miroir, mon beau miroir



Je lis, tu lis, nous lisons.
Des romans, des nouvelles, des poèmes, des essais...

Parfois on aime, parfois pas.
Parfois on sait pourquoi, parfois pas. Tiens, pourquoi ?

Parce que la lecture est un miroir de l'âme
(quelqu'un l'a sûrement déjà dit avant moi mais ce n'est pas grave).

Il y a des évidences dans nos raisons d'aimer un livre. Tout simplement l'histoire, ou le style de l'auteur•e, par exemple. Mais en l'absence de telles évidences, ce qui justifie, selon moi, notre appréciation, tient de facteurs intimes et inconscients. Le livre contient de petits aimants qui s'accordent avec ceux que nous avons en nous.

Il se crée donc des connexions qui nous attachent à l'écrit et nous poussent à poursuivre la lecture même si l'histoire n'a rien d'extraordinaire, même si le style n'a rien d'exceptionnel. On se sent bien dans le bouquin, on fait corps avec lui. Peut-être qu'on se projette, d'une manière ou d'une autre. Peut-être qu'on perçoit l'écho des mots dans la vallée de notre âme.

Je connais une personne qui a lu sept fois Candide, de Voltaire. Et une autre qui en est à sa cinquième lecture de Bartleby, d'Herman Melville. Je gage qu'aucune des deux n'a de problème de compréhension... Non, je suis sûr que si elles reviennent si souvent à cette lecture-là, c'est parce qu'elles s'y retrouvent elles-mêmes.

Un rendez-vous avec soi dans l'intimité d'un livre, n'est-ce pas le plus beau cadeau de la littérature ?

mercredi 2 janvier 2019

Seul mais pas solitaire



Un stylo et un carnet.
Il n'en faut pas plus pour écrire.
On préférera peut-être l'ordinateur portable, version moderne et technologique. Soit.
Dans un cas comme dans l'autre, un constat s'impose : par rapport à d'autres disciplines, l'écriture présente l'avantage de pouvoir être pratiquée n'importe où.

Dans un bureau aménagé à cet effet, au café, sur un coin de table, dans le métro, en pleine nature...
Partout. Partout où l'envie d'écrire point.
Partout ? Non, pas pour moi.

Je ne peux pas écrire n'importe où et dans n'importe quelles conditions.
J'ai besoin de sentir le monde - du monde - autour de moi.
J'ai besoin de m'isoler mais pas d'être en état de solitude.
J'ai besoin de pouvoir lever les yeux de ma page pour voir d'autres êtres.
J'ai besoin d'entendre, à travers la porte close, des bruits de pas, des voix.
Chez moi, quand je m'installe, je me barricade. La porte est fermée, la musique s'élève. Je ne vois ni n'entends personne. Pourtant, je sais qu'ils sont là. Et j'en ai besoin.

J'aime aussi m'installer dans un café. Cette promiscuité visuelle et sonore avec mes prochains me sert de tremplin pour mieux m'isoler, ériger une barrière invisible autour de moi et m'immerger pleinement dans mon geste d'écrire.
Parce que je sais qu'en levant les yeux, je verrai d'autres êtres. Parce que la musique, alors, qui m'accompagne, est celle des voix dont je n'entends pas le dire mais seulement le son.

En ce qui me concerne, l'écriture n'est pas affaire de solitude. Plus que jamais, elle requiert un lien avec le monde. Un lien égoïste qui me relie aux autres tout en me préservant d'eux. Mais n'est-ce pas, dans une mesure variable selon chacun, le propre d'un•e auteur•e ?