mercredi 26 décembre 2018

Douce nuit

Depuis qu'il a vu le jour, l'humain est fasciné par la nuit.
Elle exerce sur lui un charme tantôt inquiet, tantôt apaisé.

Une chose est sûre, elle l'inspire.
D'ailleurs, c'est à foison que l'on puisera des odes aux heures nocturnes dans le grand vivier de la littérature. Je me limiterai ici à deux poèmes rencontrés au hasard de mes lectures.

L'un est de Marina Tsvétaïéva, poétesse russe du début du XXe siècle. Il est extrait de son recueil "Insomnie" (Gallimard)

Voici encore une fenêtre
où encore on ne dort.
Peut-être – on boit du vin
peut-être – on est assis.
Ou simplement ils sont deux
qui ne défont pas leurs mains.
Dans chaque maison, ami,
il y a une fenêtre ainsi.

Cri des ruptures et des rencontres,
c'est toi, fenêtre dans la nuit !
Peut-être – centaines de chandelles,
peut-être – trois chandelles.
Non, point de repos
pour mon esprit.
Dans ma maison toujours
il en fut ainsi.

Prie, ami, pour la maison sans sommeil,
pour la fenêtre éclairée.




L'autre est de Claude Roy, poète français du XXe siècle également. Il est extrait de son recueil "Au sommeil la nuit", édité dans "Poésies" (Gallimard)

Elle est venue la nuit de plus loin que la nuit
À pas de vent de loup de fougère et de menthe
Voleuse de parfum impure fausse nuit
Fille aux cheveux d'écume issus de l'eau dormante

Après l'aube la nuit tisseuse de chansons
S'endort d'un songe lourd d'astres et de méduses
Et les jambes mêlées au fuseau des saisons
Veille sur le repos des étoiles confuses

Sa main laisse glisser les constellations
Le sable fabuleux des mondes solitaires
La poussière de Dieu et de sa création
La semence de feu qui féconde les terres

Mais elle vient la nuit de plus loin que la nuit
À pas de vent de mer de feu de loup de piège
Bergère sans troupeau glaneuse sans épis
Aveugle aux lèvres d'or qui marche sur la neige.


Pour ma part, la nuit est un territoire d'écriture. Non pas la nuit insomniaque et fiévreuse des petites heures du matin ou du sommeil impossible à trouver. Elle est, heureusement, rare.

Non, simplement l'obscurité. Le noir d'un soir, tombé tôt en hiver. Cette noirceur-là est propice aux histoires. Ce que l'œil ne voit pas, l'imagination le perçoit. Rien à voir dehors, tout est intérieur. Rideaux fermés, plume ouverte...

Et point trop de quidams pour être dérangé. Un peu de misanthropie de bon aloi. L'heure des visites est passée, on n'y est plus pour personne. On en est peut-être plus généreux, d'ailleurs. Porte close, cœur ouvert...

J'aime la nuit pour la liberté que j'y trouve.
Soleil éteint, esprit ouvert...