mercredi 7 novembre 2018

Quand je me suis vu ne rien voir

Depuis le mois de septembre, je suis un atelier d'écriture intitulé "Mystère et poésie du quotidien".

La poésie du quotidien.
C'est un chemin qui m'invite. Trouver la source de l'émerveillement au jour le jour, savourer la jubilation de l'instant, j'y aspire de toutes mes forces. Parce que le mystère et la poésie représentent des échappées salutaires et rendent notre monde plus beau. L'écriture de haïkus, instants saisis, fait partie de cette démarche...

Au cours de cet atelier, il m'a été donné de répondre à deux questions qui m'ont interpellé et dont j'ai eu plaisir à chercher les réponses. Les voici.

En quoi y a-t-il du mystère dans le quotidien ?
Le jour se lève, le jour s’écoule, le jour se couche. Bis repetita. Encore et encore, litanie infinie d’une horlogerie finement huilée. Cependant, les secondes ne s’égrènent pas, c’est nous qui les distillons avec la patience de ceux qui savent qu’ils iront au bout, de toute façon. Et pas un seul pour s’étonner que les couleurs du jour ne soient jamais les mêmes. Que la trajectoire du soleil ne soit déviée, que la même seconde de la veille n’ait qu’une pâle ressemblance avec celle d’aujourd’hui, ressemblance que nous lui prêtons parce que nous n’avons pas pris le temps d’écouter le bruit de la grenouille qui plonge et que nous avons donc raté l’instant. Effarante exactitude d’un recommencement qui, contre toute attente, n’a jamais lieu. Jumeaux aussi peu semblables qu’on puisse le croire, les jours se phagocytent les uns les autres et c’est à celui qui prétendra être le quotidien suprême, qui dicte sa loi et nous impose son éternité. Nous sommes les dupes consentants de ce mensonge. Avoir vécu autant de vies que de jours, tel est notre destin. Ne pas le savoir, tel est le mystère.


Quand y a-t-il de la poésie dans mon quotidien ?
Je reviens sur la grenouille qui plonge*.
Ce n’est pas banal. Elle plonge, sans se douter le moins du monde qu’elle répondait à toutes nos questions voraces sur la beauté de la vie. C’est un petit bond pour la grenouille, mais un grand bond pour l’humain. Car il est de la petitesse de cet acte comme de l’immensité du cosmos : une infinité. La grenouille souligne de sa banalité l’infinie beauté de chacun des instants que nous nous consacrons à vivre. Elle révèle en nous cette fragilité délicieuse que nous cachons par crainte d’attirer sur nous des regards. Elle murmure à notre âme des promesses de délectations langoureuses. Elle ouvre un couteau et nous écorche doucement pour que nous ressentions pleinement la sublime douleur d’être défait de sa pudeur. Je l’entends, parfois, la grenouille. Quand j’ai baissé la garde. Quand je me suis vu ne rien voir. Quand je m’éveille soudain à la beauté. C’est alors un rayon de poésie qui vient percer l’ombre de la journée.



* Il s'agit de la grenouille de Basho :

vieille mare
une grenouille plonge
bruit de l'eau