lundi 30 janvier 2017

De la montagne

J’ai gravi le chemin comme un long sacerdoce.

J’ai marché sans savoir où se jouait la noce,

En posant chaque pas sur des traces invisibles

Laissées là par hasard, la chose en est risible.


J’ai usé tant et tant de semelles coriaces

Que j’en garde aux pieds le souvenir vorace.

Pas un de ces cailloux n’a épargné mes cals

Jusqu’au bout du chemin, ma marche fut bancale.


Mais pareille à la nuit tombant sur nos sommeils,

Bientôt l’aurore d’or épousa le soleil.

Et franchissant un col que j’espérais dernier

Je vis là mon bonheur, je ne puis le renier.


C’était un haut clocher, le village alentour,

Sentinelle de fait, inébranlable tour.

Il paraissait vers moi tendre ses bras d’accueil,

comme un soulagement quand est passé l’écueil.


J’ai couru dans ces bras me perdre et me gagner

Livide dans ma joie, par l’heur accompagné,

J’ai regardé les yeux que j’avais dérangés,

Je voulais tant serrer la main du boulanger.


Le village a reçu ma venue soudaine

Sans opiner du chef ni sans la moindre haine

Comme si, de facto, ma place était bien là

Dans cette vallée d’or où j’arrivais si las.


Ma maison m’attendait, le feu y ronronnait.

J’y trouvai mes chaussons, mon siège et mon bonnet.

Tout y était rangé comme on range une chambre

Désertée en été et chauffée pour décembre.


Dès le matin suivant, aux hommes du village

Je donnais mon labeur, et jusques aux alpages

Je laissais la sueur s’écouler de mon âme

Pour me laver enfin de cette boue infâme


Qui m’avait recouvert d’une croûte séchée

Comme un saint convaincu serti de ses péchés.

Je pouvais maintenant regarder les sommets

Ceux qu’on ne gravit pas avant le mois de mai


Et dire : mes amis, je vous rejoins bientôt

Laissez-moi donc le temps, il est encore tôt

Je suis là, c’est chez moi, je vous regarderai

Tous les matins, juré ! Et vous me garderez


Une place au coteau pour m’étendre joyeux

Sur l’immense pré vert, votre manteau soyeux

Que vous offrez céans aux vaches, aux chamois,

Aux marmottes apeurées et vives dans l’émoi.


Même si je n’ai pas atteint cette hauteur

Je ne suis plus ici un simple visiteur.

Là je peux clamer fort : je suis de la montagne,

C’est ma terre de joie, mon heureuse compagne.



                                                                                                                    Auderghem, 2017