J’ai gravi le chemin comme un long sacerdoce.
J’ai marché sans savoir où se jouait la noce,
En posant chaque pas sur des traces invisibles
Laissées là par hasard, la chose en est risible.
J’ai usé tant et tant de semelles coriaces
Que j’en garde aux pieds le souvenir vorace.
Pas un de ces cailloux n’a épargné mes cals
Jusqu’au bout du chemin, ma marche fut bancale.
Mais pareille à la nuit tombant sur nos sommeils,
Bientôt l’aurore d’or épousa le soleil.
Et franchissant un col que j’espérais dernier
Je vis là mon bonheur, je ne puis le renier.
C’était un haut clocher, le village alentour,
Sentinelle de fait, inébranlable tour.
Il paraissait vers moi tendre ses bras d’accueil,
comme un soulagement quand est passé l’écueil.
J’ai couru dans ces bras me perdre et me gagner
Livide dans ma joie, par l’heur accompagné,
J’ai regardé les yeux que j’avais dérangés,
Je voulais tant serrer la main du boulanger.
Le village a reçu ma venue soudaine
Sans opiner du chef ni sans la moindre haine
Comme si, de facto, ma place était bien là
Dans cette vallée d’or où j’arrivais si las.
Ma maison m’attendait, le feu y ronronnait.
J’y trouvai mes chaussons, mon siège et mon bonnet.
Tout y était rangé comme on range une chambre
Désertée en été et chauffée pour décembre.
Dès le matin suivant, aux hommes du village
Je donnais mon labeur, et jusques aux alpages
Je laissais la sueur s’écouler de mon âme
Pour me laver enfin de cette boue infâme
Qui m’avait recouvert d’une croûte séchée
Comme un saint convaincu serti de ses péchés.
Je pouvais maintenant regarder les sommets
Ceux qu’on ne gravit pas avant le mois de mai
Et dire : mes amis, je vous rejoins bientôt
Laissez-moi donc le temps, il est encore tôt
Je suis là, c’est chez moi, je vous regarderai
Tous les matins, juré ! Et vous me garderez
Une place au coteau pour m’étendre joyeux
Sur l’immense pré vert, votre manteau soyeux
Que vous offrez céans aux vaches, aux chamois,
Aux marmottes apeurées et vives dans l’émoi.
Même si je n’ai pas atteint cette hauteur
Je ne suis plus ici un simple visiteur.
Là je peux clamer fort : je suis de la montagne,
C’est ma terre de joie, mon heureuse compagne.
Auderghem, 2017