Ligne droite en sa vaste infinité
Et contrainte par un inexorable
Désir d'aller droit, désir ineffable.
Ainsi, chaque jour, ce sont des centaines
De regards lavés d'une eau incertaine,
Les uns déçus, les autres vides, usés,
Qui suivent la droite, désabusés.
Métro roule sans cahots, tout est lisse.
Quelques tremblements, tout au plus - glisse.
Têtes parcheminées de leurs pensées
Qui ne voient pas, ne voient pas, insensées,
Tout ce monde étalé le long des voies.
Les voies de ce métro, témoins sans voix
D'un présent patiemment amoncelé
Et cependant à notre voir celé.
Ouvrir les paupières sur l'univers
De ces maisons révélées à l'envers,
Arrières-vies qu'on s'obstine à cacher,
Décors sans vie, pudeur papier mâché.
Dépotoirs qui flanquent les voies, talus
Imbibés, sales, barquettes d'alu,
Poubelles, vieux électros qui me choquent
Caillasses de briques, une vie de broc.
D'aucuns vivent ici - qui s'en alarme ? -
Tout au long de cette vallée de larmes.
Or, indifférent, le métro traverse
Ce parfait abandon qui bouleverse.
Alors, dans ce désolant paysage,
Surgit l'éclat de cette pure image,
Sous ces hauts arbres qui comptent les heures,
Un étonnant tapis jaune de fleurs.
Et c'est tout l'oubli de ces pauvres crasses,
Est effacée l'image dégueulasse,
Un peu de jour dans cette nuit sans air
Qu'a, là, tracé un peintre, en jaune et vert.
On sourit. Et le permis est donné
De replonger enfin l'impatient nez
Dans le livre qu'on lisait tout à l'heure,
Certain qu'on fut témoin d'un bonheur.