jeudi 30 avril 2020

Tempus Fugit

I

Reviens demain, moment propice
Aujourd'hui, je t'ai raté
D'une distraction, j'ai fait une excuse
D'un bâillement, un sacerdoce
Les doigts du temps ont claqué
Et l'instant s'est effrayé
Je n'ai pas pu le rassurer
Malgré l'ouate de mon geste
D'apaisement
J'avais pourtant un regard surpris
Et la tiédeur du silence
Dans ma besace
Je n'ai pas été assez prompt
À les émietter
Pour cet oiseau de bref passage
Il n'a pu voir sourire
Mes minutes dociles
Dans son envol de pluie furtive
J'en étais encore à l'aube
D'une éternité de rencontres
Qu'il jetait le crépuscule
Son mon huis étonné
Demain
Demain sera propice
J'aurai la main sur l'immédiat
Prêt à scruter le fond de mes pensées
Demain sera propice
Je le dis au regard
Au silence
Au début
À la fin
Je place un siège près de la fenêtre
Et je m'apprête à une veille
Curieuse


II

Je me souviens de demain matin
J'y pense souvent
Entre deux maintenant
Je m'arrête une éternité
Cet instant vif qui m'échappe
Et je me demande si en tendant la main
Je pourrai toucher mes pensées
Lointaines


III

Attendais-je demain ?
Il est déjà là.
La poignée d'étoiles
Que hier a jetées
Sur la voûte
Ont fécondé
Une nuit sans sommeil
Les semences du rêve
N'ont pas pris
Vais-je maintenant
Arpenter ce jour
Qui n'est pas décidé ?
Mon pas n'a pas encore
Pétri sa première foulée
Dans la glaise des heures
Mes mots attendent
Que le premier sorte
Ignorant que ce silence
Est peut-être plus éloquent
Qu'ils ne seront jamais
Je fais le pari
De l'attente
Je remue le temps
Et puise dans la lumière
Électrique
Ces instants
Dont je ferai
Demain
La promesse
D'une paix attendue

IV

Fouiller les poches
- le frac de la vie
en est largement pourvu -
Et se voir bredouille
Comme on contemple
Le train raté

Confier son espérance
À la porte du buffet
Qui cache tous les frissons
Sauf le miel qu'on désire

Descendre quatre à quatre
Les marches aux souvenirs usés
Et dialoguer avec les échos
De la cave muette
Insensé
Tu le sais que la poussière
Se joue de toi

Regarder par la fenêtre
L'ombre d'une indécision
L'ombre d'une hésitation
L'ombre d'un doute
Et planter là le présent
Pour voir germer hier
Encore une fois

Rien à faire
Tous ces grigris que l'on agite
C'est du toc dont la vie
S'encombre
On a les mains vides
Car s'écoule entre les doigts
Ce temps
Que l'on croit avoir perdu



samedi 25 avril 2020

Et la nuit, dehors ?

J'ai voulu sortir de mon lit
Humer le bois de mes pieds froids
Et compter à rebours
Le temps qu'il me reste

J'ai voulu descendre les escaliers
Grincer la rampe infidèle
Ôter à l'étonnement
Son écho de couloir vide

J'ai voulu ouvrir la porte
Cercler de mousseline
La nuit impertinente
Et accompagner mes pas
De bruyantes invectives

J'ai voulu traverser le monde
Serrer les mains des clochers
Qui trop se penchent
Sur nos âmes maladroites
Quand elles ont besoin de rêves

J'ai voulu sauter si haut
À me cogner aux astres
Pour voir si la lune
Ne nous cache pas une verrue

Je suis resté dans mon lit

lundi 13 avril 2020

12 avril 2020

Il y a des mots faciles et des mots difficiles
Il y a des mots qui riment et des mots qui ne riment à rien
Il y a des mots aimés et des mots détestés
Il y a des mots aériens et des mots telluriques
Il y a des mots tôt et des mots tard
Il y a des mots qu'on cherche et des mots qu'on trouve
Il y a des mots évidents et des mots improbables
Il y a des mots qu'on dit et des mots qu'on tait
Il y a des mots singuliers et des mots pluriels
Il y a des mots rencontrés et des mots croisés

Qu'est-ce qu'on entend dans le mot écriture ?
L'écriture, c'est une promesse de rature, un cœur en pâture, une imposture, l'annonce d'une biture... Mouais, pas terribles les rimes en voiture ou toiture.
Alors, à part ça, qu'est-ce qu'on entend dans l'écriture ? Eh ! bien, un cri. Oui, l'écriture est un cri, bien sûr. Un cri, des cris, les cris. Les cris durs.
Et contrairement aux paroles, éphémères, l'écrit dure.
Donc, les cris durs de l'écrit durent.
Voilà, on tient un bout d'écriture, là !

Quand l'ombre est arrivée, je l'ai remerciée. J'aime le soleil, certes, mais depuis l'ombre. J'ai besoin de son abri. Je le fais confortable. J'y étend un tapis. Tapi dans l'ombre. Et là, sans l'ombre d'une hésitation, je lui demande, à l'ombre, de me raconter ses histoires mystérieuses.

Excuse-moi, dit la flamme. Je te prends à froid et tu n'es peut-être pas très chaud pour ça, mais j'ai une question qui me brûle les lèvres. Et je n'ose pas la poser.
Comment ? "Il faut que tu te lances, flamme."
Oui, tu as raison. Alors, feu à volonté. Après tout, je ne vais pas me faire descendre, hein. Descendre. Des cendres. Ha ! Ha ! Non, ce n'est pas drôle.
Pardon ? "Ce que j'ai fumé ?"
Mais rien du tout. Pourquoi ?
"Parce que ce que je dis est fumeux."
Oui, c'est vrai. Bon, j'y vais, il faut aller au charbon. Mais tu vas me prendre pour une allumée. Donc, la question : est-ce que tu braises ?


6 avril 2020

Je sens l'écriture comme un hasard
Je sens l'écriture comme une joie
Je sens l'écriture comme une rencontre
Je sens l'écriture comme une difficulté
Je sens l'écriture comme un chemin

Je sens l'écriture comme un hasard auquel j'ai du mal à me remettre.
Je sens l'écriture comme une joie qui ne cesse de me surprendre.
Je sens l'écriture comme un avalement lent, parfois inexorable. Parfois, seulement.
Je sens l'écriture comme une évidence. En tout cas, chez les autres.
Je sens l'écriture comme une géographie, avec ses territoires à explorer. Ou pas.
Je sens l'écriture comme parler à tout le monde à la fois.
Je sens l'écriture comme une libération. Mais de quoi ? Mystère !
Je sens l'écriture comme un tombeau. Ou ce que j'emporterais au tombeau.
Je sens l'écriture comme un sanglot que j'ai du mal à laisser sortir.
Je sens l'écriture comme une larme que d'autres versent à ma place.
Je sens l'écriture comme une jarre d'eau : c'est un peu lourd, mais c'est bon.
Je sens l'écriture comme un cheval : superbe mais un tantinet impressionnante.

Je ne peux pas écrire. Pas toujours.
Je suis parfois sans. Sans le besoin.
Je sais pourquoi. C'est le bruit.
Pas celui des tondeuses ou des livreurs de pizzas. Ces bruits-là ont droit de cité.
C'est un autre silence que je cherche.
Il se tapit derrière mes bruits.
Ces voix qui couvrent tout et me laissent sec.
Ces murmures qui grimacent, sournois.
Ils font taire le silence.
Mais parfois, j'ai des oreilles de vide où se dissolvent les bruits, où les grimaces n'ont plus de griffes.
Alors, quand je rencontre cet infini, je le laisse me parler de tout ce qu'il y a dans le silence, et j'y dégaine la force de tarir les bruits.
Et dans l'écho qui reste de leur agonie, je reçois enfin ce silence sans lequel je ne peux écrire.

jeudi 9 avril 2020

Un phare

Quel est ton voyage, maintenant ?
Celui que tu entreprends sans nous.
Quelle rive pourpre
Fouleras-tu d'un pied allègre ?

Dis-nous les breuvages surpris
Qui s'écoulent à la fraîche.
Sers-nous les fruits écrits
Dans les éclats d'un zénith.
Prends nos mains
Et libère-les de leurs opacités.

Nous avons accompagné tes pas
Jusqu'au seuil de brume
Et nous avons cru, pardonne-nous,
Que tu renoncerais.

Mais déjà tu goûtais
Les breuvages et les fruits
Et tu avais oublié nos mains
Dans la promesse du voyage.

Nous t'avons dit
Nos mots de peu
Pour que ton bagage soit léger
Sûrs de te savoir en joie
D'être ce feu qui nous guidera demain.


(écrit dans l'esprit de l'initiative Fleurs de Funérailles, de Carl Norac, notre Poète National de 2020 à 2022)

mardi 7 avril 2020

Traces

C'est déjà le silence
Des profondeurs nocturnes
Étendu
Sur nos consciences effarées

C'est déjà le bruit ténu
Des astres
Qui lancent en défi à demain
L'impossibilité de paraître

C'est déjà le songe
Liquoreux
Qui nous fera héros
Amants ou murmures
Dans l'enchantement choisi

C'est déjà le corps
Qui soumet le drap
À sa chaleur de fer
Dans l'hébétude  des frissons

Mais c'est encore hier
Qu'on emporte
Sans relâche
Parce que seule empreinte de nos vies