mercredi 22 février 2017

Lettre

Que n’ai-je un grondement plus sourd

pour étouffer celui de mon être

Moi qui ai abandonné tour à tour

Mes regards, mes lumières, mes paraître


Grenier de mon désespoir

Cellule avide de son content de larmes 

Je vais te confier, ce soir,

Ce secret de sang, déchirement de l’alarme


Je me prélasse, poisson tropical

Dans l’ombre de mes certitudes

Je suis un Twix dans un bocal

Une obligation de béatitude


Et je glisse, lentement, vers la vérité effarée

La porte grince au sortir de mes mots

Cette chaise n’a jamais été réparée

Point n’ai-je été guéri de mes maux


Coule, encre, coule cette vie qui est mienne

Frappe, poignard, frappe l’âme que je vise

Qui de Saint Antoine ou de Saint Etienne

Fera que ma plume jamais ne s’enlise ?


Et vous, sœurs bénédictines

Sœurs putains d’une dévotion malsaine

Parées de vos carapaces de chitine

En ce désert aveuglément obscène


Remettez à demain cette tâche qui est vôtre

Hurlez les mots ici couchés

Que dans l’horreur ces mots se vautrent

Que toutes les âmes soient touchées


Car ce qui sera demain prononcé

Doit être à jamais enfoui

Car ce qui sera demain prononcé

Doit être à jamais enfoui


                                                                                                            Bruxelles, 2017


vendredi 17 février 2017

Les pêcheurs



Le combat de cannes au bord de l’étang

S’éternise depuis la nuit des temps.

Ils se font face, sentinelles alertes ;

La carpe et le goujon vont à leur perte.


Les pêcheurs, armés de leur hameçons,

Encerclent l’étang où les âmes sont.

Cannes alignées comme des ceps de vignes,

Jetant leurs cris de mort au bout des lignes.


Le temps, ici, suspend sa marche lente.

Pas de précipitation qui le tente.

On attend. Mais pas l’attente fébrile

Des premiers rayons du soleil d’avril.


On attend comme on espère un ami

Au détour d’un soir, après les semis.

On attend, l’âme nimbée de patience,

On parle avec son voisin d’espérance.


Et pendant ce temps-là, l’eau frémissante,

Se plaît à jouer avec l’air qui vente,

Dessinant, dans mille miroitements,

Mille soleils dans leur éclatement.


Un ballet de songes vient à l’esprit,

Pareil à la paix lorsque le cœur prie.

À cette danse, le regard s’étonne.

Sous la surface, la carpe questionne,


Se pose la question du carpe diem :

Or, vais-je offrir au pêcheur ce qu’il aime ?

Cette lutte inégale, et même indigne,

Qu’à la fin je perds sur toute la ligne ?


Loin de ce questionnement intérieur,

Le quidam en promenade est rieur.

Car il sait que, depuis la nuit des temps,

La pièce se joue au fond de l’étang.


                                                                                                    Auderghem, 2017